Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/48

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sources, les us et coutumes du pays où il avait l’intention, disait-il, de fonder un monastère. En maintes occasions on avait tenté de se renseigner sur son compte, on l’avait même approché à cette fin, mais toujours sans résultat apparent.

Il sentit peut-être que ces attentions intéressées pouvaient compromettre sa position et alors, prenant le parti le plus sage il s’éloigna de la ville et vint fonder sur les bords de la rivière des Trois-Pistoles l’ermitage que nous avons vu tout à l’heure.

Après l’incendie de son domicile, il était remonté à Québec où la réputation de ses austérités l’avaient devancé, lui préparant un accueil des plus sympathiques et des plus enthousiastes. L’intérêt qui s’était attaché à ses moindres faits et gestes, redoubla d’intensité ; on voulut le fêter partout et lui prodiguer les marques les plus vives d’affection et d’attachement. On tenait à l’honneur de l’avoir chez soi, mais toujours le voile plus obscur pesait sur l’homme qui s’en enveloppait volontairement sans vouloir jamais essayer même d’en lever un coin.

Ce ne fut que deux ans après son arrivée au pays, qu’on parvint à connaître toute son histoire. C’était un moine de l’ordre des bénédictins qui se nommait Dom Georges Frs Poulet. Ordonné prêtre il s’enfuit de son couvent et vint s’échouer au Canada, s’étant mis en tête que son supérieur le ferait enfermer parce que dans un voyage à Amsterdam, en Hollande, il avait embrassé avec ardeur les doctrines jansénistes. Lorsque les autorités civiles et religieuses du Canada apprirent qui il était par une lettre du supérieur au marquis de Vaudreuil, disant que les égarements du pauvre défroqué provenaient plutôt d’un travers de jugement que de méchanceté ou de perversité du cœur, elles ne permirent pas à Dom Georges Poulet de paraître dans le monde en habit laïque.

L’intendant Bégon lui-même exigea du bénédictin en rupture de vœux qu’il portât le costume de son ordre, qu’il lui fit faire tant bien que mal, et ce jusqu’au moment venu où il lui faudrait s’embarquer pour l’Europe, c’est-à-dire à l’automne suivant. Mais le rusé moine réussit à échapper à toute surveillance et quand l’heure fut venue où la flotte devait partir,