Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/6

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prime Léon Gautier — par l’imagination populaire ?… Et ces légendes, que vous nous racontez sont « du bas du fleuve », comme vous-même. En cet endroit, c’est-à-dire dans le bas du fleuve, « une, deux ou trois semaines en bas de Québec, » il y a d’abord… un fleuve, et un grand ! Ce n’est pas le mince filet d’eau douce et plus ou moins boueuse qui rampe en face des grandes villes et que tel petit pont, baptisé pompeusement du nom d’une province ou d’une illustre reine, se fait un jeu d’enjamber, si je puis dire. Non ! ici c’est « le fleuve géant » de Routhier, « le Saint-Laurent au majestueux cours, » que l’étranger de Québec, des Trois-Rivières et de Montréal voit avec un œil d’envie. Nos gens l’appellent la mer ; et de ce fait, il en a les arômes puissants, par les soleils d’été, les nuances aux spectacles toujours nouveaux, la majesté des horizons, les sourires ensorcelants, les brusques et superbes colères. De la mer il possède le cadre pittoresque et robuste : montagnes abruptes des rives gaspésiennes, rochers sculptés par le Créateur en forme de vieille, de tourelle, de cervidé haut empanaché ou de félin guettant sa proie ; caps bizarres du Bic ou du Saguenay, brèches et ravins taillés au cœur du granit par l’épée prodigieuse d’un Roland, anses et baies variées et paisibles, au fond desquelles les flots jouent à cache-cache…

Or « les paysages sont des états d’âme, » et les spectacles divers de la nature sont la source première et toujours abondante de l’inspiration, dans les créations artistiques. Si grande, pourrait-on ajouter, est leur influence, en ce domaine, que par l’intermédiaire de l’artiste ils donnent à l’œuvre d’art une large part de son caractère distinctif. La Provence a jeté de son soleil dans les Îles d’or et dans Mireille ; la plainte sempiternelle de la Grande Bleue et les récifs de la côte ne sont pas étrangers à la mélancolie des poèmes bretons ; l’azur de l’Italie se retrouve aux pages des Géorgiques ; la grâce de l’Hellade se révèle dans l’épisode aux lignes pures de Nausicaa.

Dès lors on comprend que notre mer, à nous d’en bas de Québec, et l’opulente nature qui l’enchâsse aient fourni des éléments généreux de pensée aux cerveaux de nos gens.

Qu’on veuille bien se rappeler, d’autre part, que le grand fleuve a servi de théâtre héroïque à l’histoire des premiers jours.