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cris, les prières à haute voix, les vœux formulés hautement formaient un sanglot étrange pareil au brisement énorme d’être géant qui agonise et se meurt.

La foule courait anxieuse, affolée, sur la grève, portant des lumières, des fanaux, des torches enflammées ; on regardait, en frissonnant, cette banquise de glace détachée de la terre ferme, immense épave portant plus de deux cents personnes, qu’un miracle seul pouvait sauver d’une mort affreuse, et tous avaient là un père, un mari, un frère, un fiancé !

Il semble impossible de donner une nuance de plus à ce tableau de sublime atrocité ; il semble impossible de peindre, par des mots, la douloureuse émotion des spectateurs terrifiés à la vue de ces hommes criant leur désespoir dans la nuit sombre et entraînés à une mort certaine, à moins d’un miracle éclatant.

Mais une scène étrange se passait à la Pointe, en face de l’église paroissiale. Pendant qu’au large les prières et les larmes se confondaient ensemble, et montaient à Dieu dans un suprême appel, sur le rivage, le Révérend M. Pouliot encourageait son monde, ses enfants l’entouraient, le suppliaient, comme autrefois les disciples aux pieds de Jésus, lui demandant de faire un miracle.

Alors il se tient debout sur le rivage, les deux mains étendues vers ces malheureux, ces enfants que le gouffre de la mer semblait réclamer comme sa proie. Il les aimait ces hommes, il les avait baptisés peut-être, il en avait mariés plusieurs, et tous étaient ses ouailles.

Et ce prêtre, semblable à l’ange de miséricorde intercédant sans cesse pour la terre, priait tout bas pour ceux qui allaient peut-être mourir cette nuit, périr misérablement, ne devant plus revoir leur village, leur clocher, leur famille, privés même de la dernière consolation de reposer à l’ombre de la croix, et dans le même cimetière paroissial, demeure dernière de tant de parents et d’amis.

Il demandait au ciel d’éloigner de lui ce calice d’amertume, mais il voulait que la volonté de Dieu se fasse ; soudain il s’écria : « à genoux mes enfants, je vais leur donner la sainte absolution ! » et élevant la voix, il dit :

Mes enfants de là-bas, qui allez peut-être mourir, « au nom,