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chaussure, parce qu’elles marchent peu, ni pour leur toilette, parce qu’il est rare qu’on leur fasse crédit. Si on les accuse d’inconstance, ce n’est pas parce qu’elles lisent de mauvais romans ni par méchanceté naturelle ; cela tient au grand nombre de personnes différentes qui passent devant leurs boutiques ; d’un autre côté, elles prouvent suffisamment qu’elles sont capables de passions véritables par la grande quantité d’entre elles qui se jettent journellement dans la Seine ou par leur fenêtre, ou qui s’asphyxient dans leurs domiciles. Elles ont, il est vrai, l’inconvénient d’avoir presque toujours faim et soif, précisément à cause de leur grande tempérance, mais il est notoire qu’elles peuvent se contenter, en guise de repas, d’un verre de bière et d’un cigare : qualité précieuse qu’on rencontre bien rarement en ménage. Bref, je soutiens qu’elles sont bonnes, aimables, fidèles et désintéressées, et que c’est une chose regrettable, lorsqu’elles finissent à l’hôpital. »

Lorsque Marcel parlait ainsi, c’était la plupart du temps au café, quand il s’était un peu échauffé la tête ; il remplissait alors le verre de son ami, et voulait le faire boire à la santé de mademoiselle Pinson, ouvrière en linge, qui était leur voisine ; mais Eugène prenait son chapeau, et tandis que Marcel continuait à pérorer devant ses camarades, il s’esquivait doucement.

II

Mademoiselle Pinson n’était pas précisément ce qu’on appelle une jolie femme. Il y a beaucoup de différence entre une jolie femme et une jolie grisette. Si une jolie femme, reconnue pour telle, et ainsi nommée en langue parisienne, s’avisait de mettre un petit bonnet, une robe de guingan et un tablier de soie, elle serait tenue, il est vrai, de paraître une jolie grisette. Mais si une grisette s’affuble d’un chapeau, d’un camail de velours et d’une robe de Palmyre, elle n’est nullement forcée d’être une jolie femme ; bien au contraire, il est probable qu’elle aura l’air d’un portemanteau, et, en l’ayant, elle sera dans son droit. La différence consiste donc dans les conditions où vivent ces deux êtres, et principalement dans ce morceau de carton roulé, recouvert d’étoffe et appelé chapeau, que les femmes ont jugé à propos de s’appliquer de chaque côté de la tête, à peu près comme les œillères des chevaux ; (il faut remarquer cependant que les œillères