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COMMENT ON SE SALUE À PARIS


orsque le cavalier Marin vint en France, sous le roi Louis XIII, il fut tellement surpris des démonstrations excessives que pratiquaient les jeunes seigneurs en s’abordant, et des salutations incroyables qui précédaient leurs causeries, qu’il écrivit ce joli mot à ses amis d’Italie : « En France, toute conversation commence par un ballet. »

Le salut et la façon de s’aborder, qui sont caractérisés d’une manière si différente dans les diverses parties du monde, ont surtout à Paris des formes particulières. On ferait presque l’histoire de la société parisienne par l’histoire chronologique de ces formes de salutation. Molière, à qui rien ne pouvait échapper de la grande comédie humaine, a fait, dans M. Jourdain, deux joyeuses peintures de ces ridicules : lorsque M. Jourdain, sorti tout érudit des mains de son maître de danse, fait reculer la marquise afin de donner à ses trois saluts le développement nécessaire, et lorsque, usant d’une autre science, il apprend de son maître de philosophie la manière d’aborder cette belle dame avec la phrase si fameuse et si malléable : « Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. » Il est assez étrange que toute rencontre de deux personnes soit précédée en effet de deux actes indispensables, une contorsion et une banalité, c’est-à-dire le salut et le compliment.

Ce petit ballet qui s’exécute ainsi, selon le cavalier Marin, entre ces deux personnes qui se rencontrent, n’aurait-il pas un secret motif, celui de se recueillir de part et d’autre et de mesurer ce qui va s’échanger dans la conversation ? Une rencontre est une surprise ; une surprise embarrasse, et le salut et les compliments vagues qui le suivent sont parfaitement placés pour se remettre d’aplomb.

Toute l’échelle sociale se retrouverait au besoin dans la gradation des courbes que dessinent les divers saluts. Du maréchal de France au mendiant, du fat au plat, les inflexions sont innombrables dans leur