Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jambes, vous jugez de la distance qui les sépare ; et une fois raffermis sur leurs pieds et le ballet terminé, le niveau de l’habit noir efface l’inégalité.

Les sots et les fats ont une supériorité immense sur les gens d’esprit dans cette pratique. Quant à l’homme de génie, il est au dernier rang, il n’a jamais su saluer.

Cet art est difficile ; il exige des études profondes, une expérience considérable, ou une inspiration naturelle qui les remplace.

Le salut exquis est celui qui contient autant de dignité que de bienveillance ; le plus sot est celui qui humilie et afflige.

L’homme du peuple et l’ouvrier ignorent presque le salut ; entre eux ils s’abordent en riant, mais la tête droite ; et même à l’égard de leurs supérieurs ou des riches, ils ne savent pas se courber.

À mesure, au contraire, qu’on remonte dans les degrés de la civilisation, la souplesse du salut augmente ; elle atteint sa dernière courbe dans les salons des rois et des grands.

Il y a peut-être au fond de cet usage du salut un immense ridicule, inaperçu parce qu’il est un usage, mais qui frapperait des yeux inaccoutumés à le voir.

Benjamin Constant sentait cela, lorsque, écrivant à Mme de Charrière, il souriait des gens qui perdent leur équilibre pour paraître mieux polis.

Mais qu’y faire ? changer ce ridicule pour un autre ? cela en vaut-il la peine ? Contentons-nous de l’avoir constaté, afin que les générations moqueuses qui nous suivront sachent que nous nous étions connus nous-mêmes, et que nous les avions prévenues et pressenties dans les sarcasmes et les dédains dont elles accableront notre âge.

p. pascal.