Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/155

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Marc-Antoine eut envie de se fâcher : le voisin ne lui en donna pas le temps, et reprit :

« Du reste, ce n’est pas pour moi que je réclame, je vis volontiers dans le silence ou dans le bruit ; mais je vous parle pour votre petite voisine, Mlle Juana, la couturière, que j’ai vue rentrer ce soir bien pâle, bien souffrante, et les yeux, tout rouges de larmes et de la fatigue du travail. Elle s’est couchée, la pauvre enfant, espérant dormir, m’a-t-elle dit : eh bien ! mon cher voisin, pour elle, pour cette chère petite, étudiez un peu moins fort vos rôles de mélodrame.

— Hein ? fit Marc-Antoine.

— D’ailleurs, reprit le voisin d’un air capable, j’ai vu Talma, monsieur ; et, croyez-moi, ce n’était point avec de grands gestes et de grands cris qu’il faisait ses plus beaux effets. Tenez, dans Manlius, il ne faisait que lever le pouce et regarder de côté lorsqu’il disait ces deux vers :

C’est moi qui, provenant leur attente frivole,
Renversai les Gaulois du haut du Capitole.

Et la salle croulait sous les applaudissements. Croyez-moi, monsieur, la bonne déclamation…

— Mais, monsieur, je ne suis pas comédien.

— Ah bah ! fit le vieux voisin, vous êtes donc avocat ?

— Mais non.

— Vous êtes trop jeune pour être député ; qu’êtes-vous donc, pour hurler à propos de rien ? »

Marc-Antoine hésita et finit par répondre :

« Je suis pauvre, monsieur, je m’ennuie du bonheur des riches, et je m’amuse à ma manière. »

Le voisin regarda Riponneau avec intérêt : il y eut sur le visage du vieillard une lutte entre un premier mouvement de malice et un second mouvement de bienveillance. La bienveillance l’emporta. Il prit une chaise et, avec cette douce autorité que donnent l’âge et l’indulgence, il dit à Riponneau :