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« Savez-vous où je pourrais le trouver ?

— Attendez, monsieur, je vais vous le dire, car il change souvent d’adresse, mais il a soin d’envoyer ici toujours la dernière. »

Pendant que la jeune et belle femme cherchait, une voix rauque sortit de l’alcôve.

« Qu’est-ce qu’il y a, Manon ?

— Un monsieur qui vient chercher l’adresse du vieux locataire…

— C’est votre mari ? dit Riponneau avec dégoût.

— Oui, monsieur ; il est un peu malade. »

Le gueux était ivre-mort.

« Voici cette adresse, monsieur.

— Ma bonne dame, fit Riponneau, vous ne me semblez pas heureuse ? »

Et il montra le mari de l’œil.

« Permettez-moi de vous remercier de votre complaisance. »

Cela dit, il lui offrit deux louis.

« Merci, monsieur, lui dit la jeune femme ; mon mari est un bon ouvrier qui travaille beaucoup… quand il ne souffre pas… Merci. »

Riponneau jeta un coup d’œil dans la chambre : c’était la misère, et la hideuse misère partie de l’aisance ; un lit était resté, il était d’acajou ; une table, elle était élégante ; des chaises, elles avaient appartenu à un salon.

Il laissa dix louis dans les mains de l’enfant, et s’en alla en disant :

« Encore un de ces drames invisibles sur lesquels le dévouement, la piété, le labeur de cette noble pauvre femme, jettent un voile que personne que moi n’a peut-être soulevé. »

Ce disant, il regarda l’adresse écrite qu’on lui avait mise dans la main, et vit ces mots : « Employé, comme porteur des livraisons du « Diable à Paris, chez M. Hetzel, rue Jacob, no 18. » Avant-hier M. Riponneau est venu chez notre éditeur, mais il n’a reconnu aucun de nos porteurs. Alors il a pris nos premières livraisons, et après les avoir lues, il s’est écrié :

« Que le Diable m’emporte si ce n’est pas lui-même qui était le vieux voisin ! »

frédéric soulié.