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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/188

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Madame, au reste, a vu le jour à Paris et excelle à empêcher la conversation de tomber. Rarement on lui a dit un mot sans qu’elle en trouvât dix à répondre. De sa petite main perdue dans les bagues elle annote, souligne sa pensée, et, chose étrange, lorsqu’elle veut se taire, elle sait tout dire en ne disant rien. Son œil brillant vous sourit sans cesse et vous fait croire parfois que vous avez de l’esprit. Ses lèvres vermeilles et humides, toujours entr’ouvertes et prêtes à la joie, laissent voir ses petites perles blanches qu’on regarde malgré soi et qui détournent l’attention. Lorsqu’elle veut combattre le silence, elle fait vibrer son petit rire sonore qui ranime la causerie défaillante et vous ramène au feu comme l’éclat du clairon. Elle rend la parole aux muets, fait entendre les sourds et entraîne tout le monde dans le courant de son irrésistible bavardage. Chez elle, c’est une bourrasque, les mots lancés de tous les côtés à la fois tombent dru comme grêle, les éclats de rire s’entrechoquent comme de la vaisselle qui remue dans un sac, et durant deux ou trois heures, au milieu de ces femmes adorablement prétentieuses, parlant vite et haut, éclatant à tout propos en rires bruyants et en gestes peu naturels, mais toujours délicieux, minaudant de leur jolie bouche, et se lançant mutuellement a la tête des poignées de grâce et d’esprit comme on ferait de poignées de poudre d’or pour s’aveugler, on reste ébloui soi-même. On veut s’en aller et on demeure ; alors on parle, on parle, on parle, comme tournent les moulins et les prêtres indiens.

Trivialités ou choses exquises, on sait tout dire et l’on dit tout ; les idées les plus disparates, les sujets les plus opposés, les opinions les plus paradoxales se suivent et s’enchaînent avec une aisance et une rapidité qui donneraient le vertige à une Allemande et tueraient son mari. En cinq minutes on a fait le tour du monde, ébranlé les empires, jugé les arts, commenté les religions, expliqué l’impossible, et cela sans fatigue et sans peine, avec un mot, un geste, un mouvement imperceptible de la tête ou du pied, un sourire, n’importe quoi.

Tout ce bourdonnement ressemble à une nuée d’innombrables petits riens miroitant au soleil, parcelles de diamants ou de verre cassé ; cela brille, voilà ce qui est certain.

Dans l’art difficile de recevoir, les Parisiennes ont acquis une célébrité méritée. Il n’y a qu’elles qui sachent dire avec un geste impossible à rendre, avec une grâce de petit chat blanc qu’on caresse : Eh, bonjour, ma belle ! Il n’y a qu’elles qui, en se renversant dans le fauteuil, sachent murmurer un adieu, mignonne chérie, adieu, et cela sans se lever, avec