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pouvaient produire d’en haut les statues de la jolie fontaine Louvois, alors assez nouvelle.

Je fus retenu sur la terrasse par un attroupement qui s’était formé autour de deux bateleurs. Ces deux artistes en plein vent s’étaient pris de querelle avec des militaires. Le public s’était partagé en deux camps : on se battait, on criait ; la garde arriva. En vrai badaud j’attendais le dénoûment, pourtant facile à prévoir, de cette bagarre, quand un cri, un cri terrible, un cri qui ne pouvait être qu’un cri de désespoir ou d’agonie, un de ces cris lamentables qui glacent le sang dans les veines de quiconque les entend, vint jusqu’à moi.

La concierge me regarda tout interdite.

« Monsieur a-t-il entendu ? s’écria-t-elle.

— D’où peut venir cet horrible cri ? lui dis-je.

— Il me semble, me répondit-elle en pâlissant, que cela est venu de la chambre à coucher, de celle où a dû passer votre ami, car il n’est plus là.

— René ! m’écriai-je en me précipitant dans l’appartement, René !

— Là, cette porte, me dit la concierge ; entrez le premier, monsieur, je n’oserais pas… »

Quel spectacle ! Je n’oublierai de ma vie cette heure terrible ; mon pauvre, mon cher René était renversé sur un divan, les yeux à demi fermés, le regard atone, la pâleur de la mort sur la figure ; une de ses mains crispées serrait convulsivement la crosse d’un pistolet, son visage était couvert de sang.

Je me jetai à genoux devant lui :

« Qu’as-tu, René ? lui dis-je, parle-moi, réponds-moi ; ce sang… ce pistolet… qu’est-il arrivé ? qu’as-tu fait ? »

Par un effort suprême, le moribond rouvrit un instant les yeux.

« Je me suis tué, dit-il. Léocadie !… Ah !!! »

Il perdit connaissance et tomba comme une masse inerte dans mes bras. Je le portai sur le lit et j’essayai d’étancher le sang qui coulait d’une blessure qu’il avait à la tempe droite. La concierge avait couru chercher un chirurgien. Grâce au ciel, il y en avait un qui demeurait dans la maison.

Quand l’homme de l’art arriva, il y eut dix minutes d’une attente qui me parut un siècle. Il voyait bien par où était entrée la balle, mais il ne se rendait pas compte de la route qu’elle avait pu prendre. Il envoya chercher sa trousse. Lorsqu’il eut sondé la plaie :