Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/106

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mer dans un mot à la fois ingénieux et profond un fait ou une situation, parler cette langue à demi voilée que nous ont léguée les beaux esprits des deux derniers siècles, glisser sur les surfaces, sans effort et sans bruit, comme le cygne sur son lac, ne heurter personne dans ces mille évolutions d’une course au clocher, franchir avec grâce les obstacles, sauter lestement les fossés, où chacun croit que vous allez culbuter : — voilà un aperçu des qualités variées infinies de quiconque aspire à la réputation de causeur. — Je ferais mieux de dire de quiconque la mérite, — car celui qui y aspire y atteindra rarement. — Il faut que ce soit un art révélé, jamais un art travaillé. — C’est aussi un art à part, indépendant du talent et même du génie. — J’ai connu des hommes très-supérieurs, les uns incolores, les autres intolérables dans la conversation. — Chez les uns, le travail du cabinet absorbe le cerveau, — les grâces de l’improvisation leur manquent. — Chez les autres, une excessive préoccupation de soi-même, une prétention constante à occuper dans un salon la place qu’ils occupent dans l’État ou dans les lettres, donnent à la causerie tout l’appareil d’une représentation théâtrale. — On ne peut pas siffler, on bâille.

Mais, enfin, j’ai connu aussi des hommes distingués dans toutes les carrières, inspirés dans des œuvres qui les immortaliseront peut-être, mais s’ignorant ou s’oubliant, esprits souples et charmants, accessibles aux plus humbles fantaisies, parcourant tous les claviers, et broyant volontiers leur génie pour le répandre dans un salon en poussière de diamant. — J’ai rencontré aussi des hommes sans notoriété aucune, ayant beaucoup lu, n’ayant jamais rien écrit, ayant condensé toutes leurs appréciations dans cette littérature parlée, qui en fait des artistes en conversation.

Rien ne reste de ces esprits aimables qui charment toute une génération, rien que leur portrait, appendu à la muraille de quelque salon dont ils furent les familiers. — Ils disparaissent ; d’autres viennent qui voient le portrait et demandent : « Quel est ce monsieur ? » On ne sait que dire. Ce monsieur, ce n’est plus rien ; c’était un causeur.


Les étrennes a Paris. — Nous touchons aux étrennes ; — j’en atteste le sourire de mon portier, l’empressement du facteur et les insinuations de mon barbier. — Les voitures prennent déjà la file devant tous les magasins en vogue. Il y a ceci de notable dans les traditions de la vie