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Si vous voulez maintenant savoir où en est l’admiration de nos gens pour les écrivains qui sont la gloire de la France, voici le dernier signalement que donnait mon portier a un monsieur qui prenait des renseignements sur mon compte :

« M. Villemot ? — Il paye son terme.

— Oui ; mais quelle est sa profession ?

— Il n’en a pas.

— Comment ! est-ce qu’il n’écrit pas ?

— Oh ! oui, toute la journée ; — c’est sa manie.

— Eh bien, c’est une profession, d’écrire.

— Mais ce n’est pas un état pour vivre, — puisqu’il affranchit ses lettres. »

Je vais cependant consigner ici un exemple de fournisseur admiratif. — Mme Sand a reçu, il y a quelques années, une facture de son marchand de vin ainsi libellée :

« Doit l’illustre auteur d’Indiana à X… deux pièces de bordeaux. »

En fait de domestiques, il nous reste donc, ou des gens intelligents qui sont dangereux, ou des jocrisses qui sont irritants. — J’ai retenu le dernier mot d’un domestique de cette seconde classe, et il m’a paru joli. — Un verre de lampe avait été cassé, et le maître s’en plaignait avec humeur :

« Mais, répliqua le domestique, monsieur sait bien qu’un verre de lampe casse toujours la première fois. »


Les gens qui reçoivent. — Les bons bourgeois appellent les gens du monde des paresseux. — Quel préjugé ! — Trouvez-moi, je vous prie, un bonnetier qui travaille autant qu’une duchesse. — Je maintiens mon paradoxe, à savoir qu’à Paris il n’y a de rude travail que pour ceux qui ne font rien. — Essayez un peu de reconstruire la journée d’une femme qui donne une fête. Dès le matin, accablée déjà par les préparatifs des deux jours précédents, elle se jette dans une voiture. Les fleurs et les lustres, le buffet, les glaces, les gens de service, occupent toute sa matinée. Dans la journée, autre toilette : visites délicates et diplomatiques, pour s’assurer la présence de certaines personnes dont l’absence serait un échec. — On rentre maussade, ennuyée et énervée par quelques revers : la princesse a promis si vaguement, qu’on pressent qu’elle ne