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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/147

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— Mais vous n’avez pas la digestion aimable, vous devez souffrir beaucoup. Peut-être faut-il mettre une goutte d’eau-de-vie dans le verre d’eau sucrée ! Le docteur a parlé de cela comme d’un remède excellent…

— Comme tu t’occupes de mon estomac !

— C’est un centre, il communique à tous les organes, il agira sur le cœur et de là peut-être sur la langue. »

Adolphe se lève et se promène sans rien dire, mais il pense à tout l’esprit que sa femme acquiert, il la voit grandissant chaque jour en force, en acrimonie ; elle devient d’une intelligence dans le taquinage et d’une puissance militaire dans la dispute qui lui rappellent Charles XII et les Russes.

Caroline en ce moment se livre à une mimique inquiétante, elle a l’air de se trouver mal.

« Souffrez-vous ? dit Adolphe pris par où les femmes nous prennent toujours, par la générosité.

— Ça fait mal au cœur après le dîner, de voir un homme allant et venant comme un balancier de pendule. Mais vous voilà bien, il faut toujours que vous vous agitiez… Êtes-vous drôles !… Les hommes sont plus ou moins fous… »

Adolphe s’assied au coin de la cheminée opposé à celui que sa femme occupe, et il y reste pensif : le mariage lui apparaît avec ses steppes meublés d’orties.

« Eh bien ! tu boudes ?… dit Caroline après un demi-quart d’heure donné à l’observation de la figure maritale.

— Non, j’étudie, répond Adolphe.

— Oh ! quel caractère infernal tu as !… dit-elle en haussant les épaules. Est-ce à cause de ce que je t’ai dit sur ton ventre, sur ta taille et sur ta digestion ?… Tu ne vois donc pas que je voulais te rendre la monnaie de ton cinabre ? Tu prouves que les hommes sont aussi coquets que les femmes… (Adolphe reste froid.) Sais-tu que cela me semble très-gentil à vous de prendre nos qualités… (profond silence.) On plaisante et tu te fâches… (Elle regarde Adolphe.) car tu es fâché… Je ne suis pas comme toi, moi : je ne peux pas supporter l’idée de t’avoir fait un peu de peine ! Et c’est pourtant une idée qu’un homme n’aurait jamais eue, que d’attribuer ton impertinence à quelque embarras dans ta digestion. Ce n’est plus mon Dodofe ! c’est son ventre qui s’est trouvé assez grand pour parler… Je ne te savais pas ventriloque, voilà tout… »