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— Mais tu ne veux donc pas m’écouter ? s’écrie Adolphe en pensant qu’avec une longue narration il endormira les soupçons de Caroline.

— Je t’ai trop écouté. Tiens : tu me mens depuis une heure.

— Je ne te dirai plus rien.

— J’en sais assez, je sais tout ce que je voulais savoir. Oui, tu me dis que tu as vu des avoués, des notaires, des banquiers ; tu n’as vu personne de ces gens-là ! Si j’allais faire une visite demain à Mme  de Fischtaminel, sais-tu ce qu’elle me dirait ? »

Ici Caroline observe Adolphe, mais Adolphe affecte un calme trompeur au beau milieu duquel Caroline jette la ligne afin de pêcher un indice.

« Eh bien, elle me dirait qu’elle a eu le plaisir de te voir… Mon Dieu ! sommes-nous malheureuses !… Nous ne pouvons jamais savoir ce que vous faites… Nous sommes clouées là, dans nos ménages, pendant que vous êtes à vos affaires ! belles affaires !… Dans ce cas-là, je le raconterais, moi, des affaires un peu mieux machinées que les tiennes !… Ah ! vous nous apprenez de belles choses !… On dit que les femmes sont perverses… Mais qui les a perverties ?… »

Ici Adolphe essaye, en arrêtant un regard fixe sur Caroline, d’arrêter ce flux de paroles. Caroline, comme un cheval qui reçoit un coup de fouet, reprend de plus belle et avec l’animation d’une coda rossinienne :

« Ah ! c’est une jolie combinaison ! mettre sa femme à la campagne pour être libre de passer la journée à Paris comme on l’entend. Voilà donc la raison de votre passion pour une maison de campagne ! Et moi, pauvre bécasse, qui donne dans le panneau !… Mais vous avez raison, monsieur : c’est très-commode une campagne ! elle peut avoir deux fins. Madame s’en arrangera tout aussi bien que Monsieur. À vous Paris et ses fiacres !… à moi les bois et leurs ombrages !… Tiens, décidément, Adolphe, cela me va, ne nous fâchons plus… »

Adolphe s’entend dire des sarcasmes pendant une heure.

« As-tu fini, ma chère ?… demande-t-il en saisissant un moment où elle hoche la tête sur une interrogation à effet. »

Caroline termine alors en s’écriant :

« J’en ai bien assez de la campagne, et je n’y remets plus les pieds !… Mais je ne sais ce qui arrivera : vous la garderez sans doute, et vous me laisserez à Paris. Eh bien, à Paris, je pourrai du moins m’amuser pendant que vous mènerez Mme  de Fischtaminel dans les bois. Qu’est-ce