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Le docteur se lève.

« Que pensez-vous de moi, monsieur, dit Caroline.

— Madame, il faut des soins, beaucoup de soins, prendre des adoucissants, de l’eau de guimauve, un régime doux, viandes blanches, faire beaucoup d’exercice.

— En voilà pour vingt francs, » se dit en lui-même Adolphe en souriant.

Le grand médecin prend Adolphe par le bras, et l’emmène en se faisant reconduire. Caroline les suit sur la pointe du pied.

« Mon cher, dit le grand médecin, je viens de traiter fort légèrement madame, il ne fallait pas l’effrayer, ceci vous regarde plus que vous ne pensez… Ne négligez pas trop madame. Madame est d’un tempérament puissant ; mais elle peut arriver à un état morbide dont vous vous repentiriez… Si vous l’aimez, aimez-la… si vous ne l’aimez plus, et que vous teniez à conserver la mère de vos enfants, la décision à prendre est un cas d’hygiène, mais elle ne peut venir que de vous !…

« Comme il m’a comprise !… » se dit Caroline. Elle ouvre la porte, et dit : « Docteur, vous ne m’avez pas écrit les doses… »

Le grand médecin sourit, salue et glisse dans sa poche une pièce de vingt francs en laissant Adolphe entre les mains de sa femme, qui le prend et lui dit :

« Quelle est la vérité sur mon état ?… faut-il me résigner à mourir ?…

— Eh ! il m’a dit que tu as trop de santé ! » s’écrie Adolphe impatienté.

Caroline s’en va pleurer sur son divan.

« Qu’as-tu ?

— J’en ai pour longtemps… Je te gêne, tu ne m’aimes plus… Je ne veux plus consulter ce médecin-là… Je ne sais pas pourquoi Mme Foullepointe m’a conseillé de le voir, il ne m’a dit que des sottises !… et je sais mieux que lui ce qu’il me faut…

— Que te faut-il ?…

— Ingrat, tu le demandes ?… » dit-elle en posant sa tête sur l’épaule d’Adolphe.

Adolphe, effrayé, se dit : « Il a raison, le docteur. »

Caroline chante alors une mélodie de Schubert avec l’exaltation d’une hypocondriaque.