Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/183

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nous nous sommes arrêtés. La portière s’est ouverte sous la main empressée d’un commissionnaire ayant une plaque sur le bras comme à la porte de Saint-Roch, et le marchepied s’est abaissé sur un grand tapis rouge. On entre d’abord dans un immense vestibule, une espèce de vestiaire orné dans toute sa longueur d’un vaste comptoir, d’une vaste table, comme tu voudras, semblable à ce qu’on voit dans la salle des bagages d’un chemin de fer ; c’est là qu’on dépose ses habits. De l’autre côté de la galerie, une armée de valets de pied, contenue péniblement par une barrière, vous dévisagent et paraissent s’amuser beaucoup. Dans le fait, le spectacle doit être curieux. C’est là qu’on se décapuchonne, c’est là que les papillons sortent de leur coque.

Vous avez vu entrer un gros monsieur caché dans son collet, perdu dans un gros pardessus, coiffé d’un vieux chapeau qui lui couvre les yeux. Ce monsieur ne représente pas — bien. — Mais, tout à coup, le chapeau disparaît et vous apercevez un de ces beaux crânes de général, brillant comme un cuivre, avec deux belles petites touffes de cheveux blancs, des moustaches de neige, un œil de militaire, des pommettes rosées. — Le collet s’abaisse et le cordon rouge apparaît. — Le paletot est enlevé, et vous voyez des brochettes étincelantes, des crachats étourdissants. Je serais restée là une demi-heure à regarder toutes ces transformations, si je n’avais entendu dans le lointain un vague murmure d’orchestre et cette rumeur charmante qui sent le bal et vous invite. Une femme de chambre, des épingles dans les dents, s’était mise en devoir de faire bouffer ma jupe et d’étaler ma queue, mais cela avec une grande vivacité ; il y avait foule et le nombre des jupes à faire bouffer augmentait à chaque instant. Nous avons pris à gauche, et nous nous sommes trouvés au pied d’un grand escalier féerique.

Figure-toi — c’est difficile à raconter — figure-toi les vêpres du jour de Pâques. D’abord, deux suisses rouges et brodés se tiennent immobiles sur la première marche, soutenant gravement leur hallebarde dorée, puis, au milieu d’une forêt indéfinissable de plantes et de fleurs noyées dans des flots de lumière, une double haie de valets rouges à culottes blanches, et de gardes à cheval avec leurs grandes bottes brillantes, leurs baïonnettes qui brillent aux lumières comme l’épée de l’Archange, et leurs casques à crinière où se reflètent tous les environs. Cela fait un tas de petits tableaux de Meissonier. — N’est-ce pas Meissonier qui fait de tout petits bonshommes ? J’étais étourdie, ma chère, et je voyais tant de choses à la fois que je ne distinguais rien.