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maigre campé sur une jambe comme un maréchal en bronze sur son piédestal ; il était debout, droit au milieu d’un parterre de femmes assises, immobile, la tête renversée, la main gauche dans son gilet très-décolleté ; les yeux dédaigneusement voilés, il regardait défiler la foule devant lui. De temps à-autre il lançait un regard sur le Préfet ; si ce dernier faisait un mouvement, il copiait rapidement ce geste et rentrait dans sa gravité officielle. Je ne serais pas étonnée que cet original s’imaginât qu’il présidait la fête.

À première vue, ces grands bals ont ceci de désolant, qu’on se sent absolument effacée, perdue. Quand on n’a pas une tournure de princesse et pour 2 ou 300 000 francs de diamants, on est absolument anéantie. Ma pauvre petite toilette, que je trouvais si gentille, me paraissait affreuse. Mais, au bout d’une heure, je suis revenue à des sentiments meilleurs. Il faut voir en détail et comparer pour se rendre bien compte. Ce qu’il y a de positif, c’est qu’on a l’air d’un paquet ; les chignons bas, si coquettement qu’on les accommode, paraissent vieux comme Hérode. Le chignon haut, plus haut que le sommet de la tête et formé par deux énormes coques, voilà la vraie mode. On a un peu l’air d’avoir un casque en cuir verni, mais cela va admirablement avec les tailles courtes. — Une autre coiffure qui me paraît lutter avec la coque en l’air consiste à ne point être coiffée du tout ; imagine-toi un paquet de crin se terminant par une masse informe de boucles folles à moitié défrisées et flottant au gré du zéphyr !

Je ne crois pas qu’on puisse trouver plus original et plus laid. J’ai remarqué une jeune femme tout de rouge habillée, et qui était ainsi coiffée ; de plus, elle s’était plaqué sur la tempe un énorme papillon. J’en ai rêvé la nuit dernière. Je crois que depuis la guerre d’Amérique il y a un grand nombre de sauvages qui se réfugient en Europe. Ce qui n’était point sauvage du tout, mais adorable, c’est la toilette blanche d’une charmante jeune femme que j’ai suivie pendant dix grosses minutes. Elle avait une jupe très-bouffante en tarlatane et, par-dessus, une veste en satin blanc avec larges poches et brodé en jais blanc. Dans ses cheveux coiffés un peu à l’aventure, elle avait trois rangs de grosses perles blanches et pas autre chose qu’une figure ravissante et une tournure délicieuse. Beaucoup de cheveux tressés en nattes épaisses et entremêlées de larges lacets d’or, le tout formant chignon. Mais je n’en finirais pas si je voulais te raconter tout ce que j’ai vu. Toutes les femmes se regardent, se suivent de l’œil avec un sans gêne parfait. Dans