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LE JARDIN DU ROI
par gustave droz

Je sortais ce matin, vers midi, du théâtre de la Porte-Saint-Martin, et, tout en mettant dans ma poche le coupon de loge que je venais d’y prendre, je me disposais à remonter en voiture, lorsque j’aperçus devant les affiches un grand monsieur sec, long, à cheveux blancs et à nez pointu, qui se tenait en équilibre sur la jambe droite. Il ne resta qu’un instant dans cette posture instable, — sans doute il souffrait du pied gauche, — mais ce brave monsieur avait été si comique, qu’il me fut impossible de ne pas rire et de ne pas me rappeler le héron du Jardin des Plantes. Du héron, j’en vins à penser aux autruches, à l’ours Martin, aux petites cahutes en paille, au jardin botanique, noyé dans le soleil… Bref, je dis au cocher de me conduire au Jardin des Plantes par les quais, et j’allumai un cigare tout joyeux. Il y avait plus de dix ans que je n’avais vu l’éléphant et le cèdre.

Lorsqu’une idée riante vous traverse le cerveau, je trouve qu’il faut s’y accrocher et la suivre jusqu’au bout. C’est la réunion de tous ces petits bonheurs, de toutes ces petites joies imperceptibles, et que la masse néglige, qui constitue la sérénité de la vie. Il n’y a pas de plaisirs insignifiants ; ils s’enchaînent l’un à l’autre, comme les grains d’un chapelet. La question est de n’en point omettre, de ne pas laisser passer un rayon de soleil sans tendre le dos, pas un éclat de rire sans prêter l’oreille. Je suis de ceux qui se mettent à la fenêtre quand un régiment passe, musique en tête, qui se réservent un livre amusant pour un jour de pluie, qui ménagent leurs plaisirs, se préparent des joies et sautent sur celles qui se présentent comme un écureuil sur une noix.

Mais tout cela nous mènerait bien loin. Quant à présent, il ne s’agit que de l’ours Martin et des feuilles qui poussent. Parlons de tout cela, et si vous avez une demi-heure à perdre, cher lecteur, entrez avec moi dans le Jardin du Roi.

Je dis Jardin du Roi, et c’est avec intention. On est là dans un lieu qui appartient au passé. Il y a là, dans la grille d’entrée, dans ces ca-