Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dames qui ont bombardé de bouquets le cheval de M. Lagrange, et que je leur demandasse sérieusement ce qu’on entend par le mot handicap, elles seraient bien embarrassées de répondre.

Qu’on attelle demain Gladiateur à une charrette, et qu’on l’envoie conduire des légumes à la halle, pas un de ceux qui l’ont acclamé ne serait de force à reconnaître que c’est la un cheval capable de gagner le Derby.

Laisse-moi te le dire, jeunesse élevée au lait de macadam, il en est pour toi des chevaux comme des tableaux et des femmes. Quand il te tombe sous la main une jeune, jolie et honnête ouvrière, tu la repousses dédaigneusement pour aller te faire dévaliser par de vieilles cocottes qui traînent depuis vingt ans, dans les Champs-Elysées, un déshonneur à tant la course (après minuit et passé les fortifications, il y a quelque chose en plus).

Pendant huit ans, on a pu voir à la devanture d’un marchand de la rue Taitbout un portrait d’homme attribué à Rubens, et dont personne ne voulait pour trois cents francs. Passé dans la collection Morny, il s’y est vendu deux mille.

Je me suis rappelé toutes ces inconséquences devant la frénésie prétentieuse déployée par ces messieurs et par ces dames au moment de l’arrivée de Gladiateur. Au fond, les femmes étaient beaucoup plus préoccupées d’elles-mêmes qu’elles ne voulaient le paraître, et indépendamment du prix de cent mille francs, il y a eu ce jour-la, au bois de Boulogne, plusieurs courses aux fausses nattes auxquelles ont pris part tout ce que Paris compte de beautés dénuées de préjugés sociaux.

C’est toujours Mlle Cora qui est arrivée première, dépassant ses camarades de plusieurs longueurs de chignon. Parmi celles qui n’ont pas été classées, j’ai reconnu, dans une grande voiture jaune, ce qui est le dernier genre, une ex-ingénue des Délassements, qui, il y a deux ans à peine, jouait le rôle du Radis noir dans une revue de fin d’année, où elle venait réciter avec une expression tendre que je n’oublierai jamais :

Je suis le radis noir :
Avec décence Je m’avance ;
Qui veut me recevoir
Est toujours sûr de me revoir.
Ah ! daignez m’accueillir,
Je vous promets de revenir.
Je suis le radis noir, etc.