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choses : son premier coup de fusil tue le chien favori de la maison ; — le second est presque une tentative de suicide ; — il se laisse désarmer et suit de bonne grâce la chasse en amateur, toujours quelque peu inquiet cependant de voir braquer dans la direction de son bas-ventre une douzaine de tubes qui recèlent la mort. — Au bout de huit jours, il commence à bailler comme à la tragédie ; — il lui semble qu’un siècle s’est écoulé, car, en province, la vie est longue et l’heure lente. — Les yeux rougis par les veilles, les jambes exténuées par la marche, il commence à regretter ses dossiers, son travail, le boulevard et l’Opéra-Comique. — Il s’amuse trop et ne s’amuse pas selon sa nature.

Voilà ce que c’est : le Parisien a voulu forcer son talent, et il est bien obligé de reconnaître que les provinciaux ont aussi leur supériorité, à laquelle il ne lui sera jamais donné d’atteindre. — Tout le long de l’année, le Parisien se donne le spectacle du provincial dépaysé dans Paris. — En septembre, le provincial prend sa revanche : certes, le provincial fait une triste figure à l’Opéra avec sa cravate à pois, son gilet à fleurs et ses gants en coton. — Mais le Parisien n’a pas une meilleure tournure à la campagne, avec ses bottes vernies, sa veste de velours doublée de satin blanc, ses gants jaunes et ses jambes en pincettes dans un pantalon collant. — Les vachères s’arrêtent pour le voir passer ; les paysans le prennent pour un ténor en représentation, et, n’était la bonne opinion qu’il a de lui-même, le Parisien s’apercevrait bien vite que tout ce monde-là se moque de lui. — Il faut dire aussi que le Parisien, si roué en matière de drames et de comédies, prête énormément à rire dès qu’il a passé la barrière. — Ignorant de toutes les choses de la nature, qu’il ne connaît que par les toiles de fond du Gymnase, il prend un chêne pour un noyer, — un bœuf pour un rhinocéros, — des carottes pour des betteraves, et, quand il rencontre une grenouille, qu’il prend naturellement pour un crapaud, il se sauve pour ne pas être empoisonné par la liqueur du batracien. Pendant que les paysans se mirent dans ses bottes, il pousse des exclamations d’une naïveté adamique. « Tiens ! un homme qui laboure ! C’est étonnant comme il y a des cailloux dans la campagne. Vos canards sont bien sales ; vous ne les lavez donc jamais ? etc. »

Dans cette situation, il n’est pas rare que le Parisien devienne le point de mire, le plastron de la province. — Le Parisien a donné au provincial des billets pour visiter l’intérieur de l’obélisque ; — il l’a envoyé à la queue de l’Odéon à dix heures du matin ; — il l’a présenté