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mission !… Sans doute, on y mettra des cheveux. C’est pour madame… Comment diable ? madame, la belle-sœur du mari de cette personne dont je vous ai parlé… une amie de l’ambassadrice… Au fait, non, je ne vous en ai pas parlé… Allons, je me sauve. » Il remit en poche son petit paquet, me tendit la main et partit en soulevant la tapisserie avec sa canne.

« Dans une demi-heure vous aurez le costume. »

Ce costume m’arriva en effet vers les huit heures du soir. C’était un costume de Turc. Rien n’y manquait : babouches, turban, loup en velours noir à longues barbes… « Après tout, me dis-je, si la Providence le veut, habillons-nous en Turc ; il y a longtemps que cela ne m’est arrivé. » Les babouches étaient un peu grandes ; j’y fis mettre un notable paquet de coton. Le gilet m’était bien un peu juste, mais cela m’amusait tant de me voir en turban, que je passai par-dessus les petits inconvénients des chaussures et du gilet. Vers les onze heures, je faisais mon entrée. Vous connaissez les splendides réceptions de la rue de Grenelle, je ne sais pas dans Paris de salons plus magnifiques et de société plus brillante. Il y avait une foule compacte dès la galerie vitrée, et les femmes, pour pénétrer jusqu’au premier salon, étaient obligées de fendre cette foule, tandis que leurs jupes comprimées les suivaient par derrière comme la queue d’un faisan qui traverse les broussailles. Je me mis à la suite d’une de ces jupes et je pénétrai petit à petit.

C’est un singulier aspect que celui de cette foule bariolée. D’abord on ne distingue rien qu’une confusion étrange de plumes blanches, de pourpoints rouges, de cheveux poudrés, de mollets de coq dans des bas de soie ridés, d’épées qui accrochent, d’éperons qui déchirent et résonnent, puis, dans le lointain, sous les grands lustres, noyées dans une atmosphère lourde, étouffante, odorante, et comme phosphorescentes, des centaines d’épaules nues au milieu des diamants et tous ces masques noirs derrière lesquels brillent les regards. Peu à peu l’œil se fait à cette confusion et l’on distingue. On distingue des gardes françaises cagneux, des toréadors bâtis comme des poulets étiques, des brigands italiens pressés entre deux portes comme des sardines dans leur fer-blanc, des pierrots en soie rose et blanche qui sont vexés, — c’est une chose unique que tous les pierrots ont l’air contrarié, — des grands seigneurs, François Ier et Henri II, myopes comme des photographes et poudrés comme M. de Richelieu. On devine que tous ces gens ne sont pas