Les pauvres gens qui m’ont élevée ne peuvent plus garder une apprentie. Les affaires vont mal, il faut qu’ils nourrissent leurs enfants ; ils m’ont mis un métier entre les mains, comme ils disent, je suis d’âge à gagner ma vie. Allons ! je la gagnerai. Le messager m’emmènera ce soir, il m’a promis une place dans sa carriole ; c’est un si brave homme, et il m’a vue si petite.
Aujourd’hui je ne suis qu’une enfant, demain je serai une ouvrière. Ils manquent de bras à la ville, la grande filature a repris ses travaux ; comme je vais être heureuse à Paris !… N’est-ce pas la cloche du village que j’entends ? d’où vient qu’elle m’attriste le cœur ?
Voici mes compagnes qui vont à la messe avec leurs belles robes du dimanche. On dansera ce soir sous les tilleuls, j’irai ce soir danser pour la dernière fois… Non, je resterai ici à prier Dieu pour qu’il n’abandonne pas l’orpheline.
J’entends le bruit des roues, le messager fait claquer son fouet pour m’avertir. Comme j’ai prié longtemps ! Adieu, vous qui m’avez servi de père ; Jacques et Jacqueline, un baiser à votre sœur ; et vous, ma mère, ne pleurez point, je vous donnerai de mes nouvelles, et puis nous nous reverrons. Ne craignez rien pour moi, je suis forte et courageuse : le ciel me protégera !
La carriole file, nous passons à côté des tilleuls, j’entends le bruit des violons ; nous voici près du moulin, le bruit de l’eau me fait pleurer. Nous allons bien doucement, messager. Bon ! voilà la jument grise qui