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le vieux monsieur. — L’hôtel que voici, madame, était alors habité par le président de M***, dont la femme, étant d’une famille de gens d’épée, n’avait jamais fort goûté la robe.

la vieille dame. — Et vous étiez d’épée ?

le vieux monsieur. — Aussi vrai que son mari était de robe. Il en résulta qu’une belle nuit… Mais, auparavant, il est bon de vous dire que, donnant fort dans les modes du jour, la charmante présidente se faisait suivre partout d’un petit mouton tout enrubanné de rose.

la vieille dame. — Elle était donc charmante, cette présidente ?

le vieux monsieur. — Petite, fraîche, enfantine, sautillante, rusée comme un diable, et brave comme un lion.

la vieille dame. — Peste ! voilà une présidente bien gaillarde !

le vieux monsieur. — Bref, vers la fin d’une de ces nuits dont je viens d’avoir l’honneur de vous parler, je m’esquivais par une fenêtre du premier, d’où j’avais coutume, à l’aide d’un treillage, de descendre dans le jardin, quand un grand laquais du président m’apparut brutalement : je n’eus que le temps de sauter dans une plate-bande, non pas sans laisser une poignée de mes cheveux entre les mains du drôle. — Le président, armé de cette fâcheuse pièce, entre à grand bruit chez sa femme, qui dormait comme une pauvre innocente. — Madame ! madame ! — Monsieur ! monsieur ! dit la présidente. — Madame ! en vérité, vous me direz de qui sont ces cheveux ! — Cela, des cheveux ! c’est de la laine ! Je vous prie de me laisser dormir. — De la laine ! de la laine ! Il n’y a point de laine, madame ! c’est à moi que vous voulez la couper sur le dos ! Un homme vient de sauter dans le jardin par une fenêtre de votre appartement. — Eh bien ! qu’on le prenne ! — Il est parti, madame vous savez bien qu’il est parti ! — Ah çà ! dit la présidente, se mettant sur son séant, expliquez-vous, monsieur. Que prétendez-vous avec vos cheveux ? — Ce ne sont pas mes cheveux, madame, ce sont ceux d’un autre, et voila justement ce dont je me plains. Me direz-vous de qui sont ces cheveux ? — Pourquoi pas, si je le sais. Montrez-les-moi. — Mais à peine les eut-elle regardés, qu’elle éclata de rire et se mit à mordre ses draps dans des convulsions de joie interminables. — Ah ! vraiment, dit-elle enfin au président ébahi, — je l’avais deviné, c’est mon mouton ! Votre domestique et Perrette se seront fait une peur réciproque, et la pauvre bête se sera sauvée dans le jardin. — C’est là que je vous tiens, dit le président : depuis quand un mouton est-il poudré ? — Le mien l’est, monsieur, nous le poudrâmes hier soir, moi et ma fille de chambre, pour me