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LES PETITS POIS, LES DINERS EN VILLE

Par petits pois nous n’entendons pas ces chevrotines qu’Alger et le midi de la France nous expédient par masses énormes, et dont l’apparition sur nos marchés escompte la sensation, jadis si chère aux Parisiens, d’une primeur fraîche et savoureuse.

Le petit pois était jadis un végétal vénéré. La tradition populaire affirmait que les premiers petits pois étaient servis sur la table du souverain le vendredi saint.

L’on sait aussi qu’un des griefs les plus reprochés au financier Bouret fut d’avoir offert au roi Louis XV une tasse de lait fournie par une vache qui avait été nourrie avec des petits pois à vingt francs le litre.

Par petits pois nous n’entendons pas ce plomb de chasse venu de loin, et qui a la propriété de nettoyer l’estomac humain, comme le plomb des tonneliers nettoie les bouteilles.

Par petits pois enfin, nous entendons le petit pois de Paris, ce chef-d’œuvre de nos maraîchers, — le pois de Clamart.

Ce nom de Clamart est sinistre. Cimetière, amphithéâtre de médecine, sépultures de suppliciés, voilà ce qu’on trouve à Clamart, à côté de nos délicieux petits pois. — Nous pourrions — mais nous le réservons pour une autre fois — parler à cette occasion de Mirabeau.

Donc, depuis cinq ou six jours seulement, nous assistons à la reprise des petits pois véritables.

Mais que de voleries se pratiquent sur cet article intéressant ! Autrefois, le petit pois était un. Il y en avait ou il n’y en avait pas. Or, aujourd’hui, tous les stocks de pois arrivant du Midi vont être mélangés avec les pois de Clamart, assortis tant bien que mal comme nuance, et vendus ensemble comme homogènes, de façon que le consommateur ne s’y reconnaisse qu’au coup de dent, comme s’il rencontrait de petits cailloux égarés dans de la crème.

Cette précocité trompeuse de la primeur dénature tous les végétaux. Les fraises — toujours du Midi — sont encore plus perfides que les faux petits pois, leurs compatriotes : une senteur adorable, un parenchyme ligneux, insipide. Fraises de Bordeaux, fraises de Marseille, ne sont qu’une décoration charmante pour l’œil et pour l’odorat. Les seules