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phant, derrière ses hautes palissades ; la girafe, avec sa tête de cheval au haut d’un cou de cigogne, et qui broute les feuilles sur des arbres de vingt pieds ; les bâtisses rondes en briques rouges ; les oiseaux de la Chine et d’ailleurs qui ressemblent à nos poules, à nos oies, à nos canards ; les aigles qui crient, en regardant à travers leurs barreaux les pigeons dans les nues, et qui veulent tout à coup s’envoler ; les vautours qui perdent leurs plumes et laissent pendre la tête au bout de leur long cou, nu comme un ver ; les singes qui sautent et font des grimaces ; les ours dans leurs fosses, qui se roulent sur le pavé brûlant et regardent en louchant ceux qui leur jettent du pain ; les tigres, les lions qui bâillent ; les hyènes, des espèces de cochons avec des têtes de chauve-souris, qui répandent une odeur très mauvaise, tout cela pour moi c’était de la vieillerie, comme ces carcasses de baleines et d’animaux d’avant le déluge, qui sont enfermées, avec des étiquettes, dans une grande bâtisse bien propre, et qui ressemblent à des poutres vermoulues. Je les regardais bien, mais j’aimais mieux la verdure, et rien qu’un épervier dans la montagne, quand il passe d’une roche à l’autre en jetant son cri sauvage, rien qu’un bœuf qui fume à la charrue, ou un chien de berger qui rassemble le troupeau, me paraissait mille fois plus beau que ces aigles, ces hyènes et ces lions décrépits.

C’est après avoir traversé la grande allée de tilleuls et de hêtres au milieu, — près des magnifiques baraques en verre où les plantes d’Amérique collent leurs grandes feuilles desséchées aux vitres, — c’est de l’autre côté, sur les quais, en suivant ces immenses entrepôts où les tonnes de vin et d’eau-de-vie, les ballots et les caisses sont entassés jusqu’aux toits pendant une lieue ; où les bateaux descendent la Seine et déchargent leurs marchandises et leurs provisions de toutes sortes sur les pavés en pente, derrière les tours de Notre-Dame, près de l’Hôtel de ville, c’est là que la vie me revenait avec ces grandes histoires de la Révolution, où les gens, au lieu de croupir et de moisir comme ces animaux d’Asie et d’Afrique dans des cages, voulaient être libres et faire de grandes choses. Oui, c’est en face de l’Hôtel de ville, cette large et sombre bâtisse couverte d’ardoises, ses deux pavillons sur les côtés, sa haute porte en voûte, au milieu, où monte le grand escalier jusqu’à l’intérieur, ses grandes fenêtres et ces niches, où les vieux juges, tous les braves gens des anciens temps ont leur statue, c’est là que je me rappelais la terrible Commune : ces hommes de la Révolution, avec leurs habits à larges parements, leurs perruques, leurs tricornes, qui balayaient