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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 4.djvu/116

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Par un instinct particulier, Sterny avait deviné ce qui venait de se passer à quelques pas de lui.

« Avec qui est donc Mlle N… ? avait dit l’un des jeunes gens.

— Eh bien, avec son amant le marquis de Sterny.

— Y a-t-il longtemps qu’il l’est ?

— Il y a huit jours tout au plus. »

Sterny n’avait pas entendu un seul mot de tout cela ; mais il l’avait lu dans le regard que Lise avait jeté sur lui.

Il eût voulu pouvoir aller près d’elle ; mais on le tenait par une chaîne infâme. Il voulut encore sortir.

« Si vous entrez dans la loge de cette femme » lui dit sa maîtresse, je vais la souffleter devant vous. » Puis elle reprit d’un air de dédain : « Ce doit être la grisette de Saint-Germain ? »

Sterny eût poignardé la danseuse en ce moment ; mais il fallait céder, il ne put qu’emmener sa lionne, et dans un accès de rage insensée il brisa tout chez elle, glaces, porcelaines, meubles ; comme il ne pouvait battre la femme, il lui faisait tout le mal possible en lui arrachant tout ce qu’elle tenait de lui.

Léonce rentra chez lui furieux.

Le lendemain, il alla chez M. Laloine ; on lui dit qu’il était à la campagne avec toute sa famille.

« Allons, se dit Sterny, je suis un sot ; il y aura eu encore une scène de palpitations, et la belle aura été se promener le lendemain, tandis que moi… En vérité, je deviens brute. »

Ceci dit, il pensa qu’il n’en avait pas assez fait pour oublier cette petite fille avec laquelle il s’était si bêtement compromis.

Quinze jours après, à force de folies plus ardentes que jamais, grâce à une course au clocher où il se blessa, et dont parlèrent les journaux, à un pari de mille louis qu’il perdit, à une suite d’orgie avec les courtisanes les plus impudiques, il était parvenu à ne plus penser à Lise, et cependant plusieurs fois cette douce et blanche figure semblait lui apparaître, mais pâle, mourante, désolée, le regardant avec désespoir, comme si elle lui reprochait de se perdre et de l’avoir perdue. Cette image lui revint même dans son sommeil, et comme il y rêvait encore le matin, tout éveillé, on lui annonça Prosper Gobillou, qui entra d’un air triste et chagrin.

« Mais, lui dit Léonce, vous avez l’air bien triste, Prosper, pour un nouveau marié ?