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— Eh ! distrait que vous êtes, c’est ma mère ! répondit-il, impatienté.

— Ta mère !… répétai-je consterné de ma sottise. Pardon ! j’ai cru que c’était ta sœur.

— Charmant ! Il a pris alors ma sœur pour ma mère ! Mon cher, n’allez pas, en vous trompant ainsi, débiter aux jeunes personnes le compliment de Thomas Diafoirus.

— Ta mère ! repris-je sans faire attention à ses moqueries. Elle danse bien.., mais quel âge a-t-elle donc ?

— Ah ! encore ? c’en est trop, vous vous ferez chasser de partout, si vous vous obstinez ainsi à savoir l’âge des femmes.

— Mais ceci est un compliment naïf dont madame votre mère ne devrait pas me savoir mauvais gré ; à sa parure, à sa taille, à son entrain, je l’ai prise pour une jeune personne, et je ne puis me persuader qu’elle soit d’âge à être votre mère.

— Allons, dit Arthur en riant, ces provinciaux si simples ont le don de se faire pardonner. Ne soyez pourtant pas trop galant avec ma mère, je vous le conseille. Elle est fort railleuse, et d’ailleurs il serait du plus mauvais goût, au fond, de venir s’émerveiller de ce qu’une mère danse encore. Tenez, voyez, est-ce que toutes les mères ne dansent pas ? c’est de leur âge !

— Les femmes se marient donc bien jeunes, ici, pour avoir de si grands enfants !

— Pas plus qu’ailleurs. Mais abandonne donc cette idée fixe, mon garçon, et sache qu’après trente ans les femmes de Paris n’ont pas d’âge, par la raison qu’elles ne vieillissent plus. C’est la dernière des grossièretés que de s’enquérir, comme tu fais, du chiffre de leurs années. Si je te disais que je ne sais pas l’âge de ma mère ?

— Je ne le croirais pas.

— Et pourtant, je l’ignore. Je suis un fils trop bien né et un garçon trop bien élevé pour lui avoir jamais fait une pareille question. »

Je marchais de surprise en surprise. Je me rapprochai de la sœur d’Arthur, et je persistai à trouver qu’au premier abord elle paraissait moins jeune que sa mère. C’était une fille d’environ vingt-cinq ans qu’on avait oublié de marier, et qui en était maussade. Elle était mal mise, soit qu’elle manquât de goût, soit qu’on ne fit pas pour sa toilette les dépenses nécessaires. Dans les deux cas, sa mère avait un tort grave envers elle : celui de ne pas chercher à la faire valoir. Elle n’était pas coquette, peut-