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Peu de jours après, M. Palémon fit une autre rencontre. Il était allé au spectacle ; en se retirant avant la fin de la dernière pièce, il causa avec l’ouvreuse qui lui rendait son paletot. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il reconnut dans cette pauvre femme une actrice jadis célèbre par sa beauté !

C’était Suzanne, l’ancienne actrice des Variétés ; Suzanne, qui avait toujours de si belles toilettes, et qui excellait dans les rôles travestis ; Suzanne, l’idole des avant-scènes et la passion de l’orchestre. Aucune actrice n’avait contribué plus qu’elle à la fortune du théâtre. Ses appointements de mille écus, qu’elle ne recevait pas, mais au contraire qu’elle comptait au directeur pour avoir le droit de se montrer sur la scène. Le Chiffre de ses amendes s’élevait chaque mois à cinq ou six cents francs, que payaient volontiers ceux qui lui avaient fait manquer la répétition ou le spectacle. Une fois même, un prince russe paya un dédit de vingt mille francs pour rompre son engagement et l’emmener aux eaux de Bade. Deux mois après elle rentrait au théâtre, où bientôt commença pour elle une rapide décadence. Les attraits s’en allaient ; les rôles travestis perdaient leur charme, le pantalon collant n’était plus avantageux : Suzanne fut reléguée au second plan, puis elle tomba parmi les figurantes, puis enfin elle obtint par protection une charge d’ouvreuse. — Ainsi finissent les comédiennes qui font du théâtre une boutique où elles se montrent chaque soir à l’étalage, devant quelques centaines de chalands.

L’ouvreuse ne se rappelait ni Robert ni son portrait. — Il en fut de même chez Arthémise Muller, où M. Palémon se rendit, malgré la répugnance bien naturelle que lui inspirait une femme au service de la police.

Six noms étaient déjà rayés des tablettes ; M. Palémon, qui voulait remplir scrupuleusement sa mission, se rappela que, parmi les veuves de Robert, la plus belle, la plus aimée, la plus opulente, était Mlle  Colombe, qui, dans le temps de sa splendeur, habitait un magnifique appartement rue de Provence. La retrouver au même logis n’était guère probable ; mais M. Palémon, qui ne voulait rien négliger, pensa que peut-être on pourrait le mettre sur sa trace. Il alla donc rue de Provence, et il demanda résolument et comme une chose toute simple :

« Avez-vous ici une jeune personne nommée Mlle  Colombe ?… Quand je dis jeune… non ; il y a vingt-cinq ans de cela ; elle logeait à l’entre-sol.