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Mme DE MIREPOIX. À la cour il n’est qu’une disgrâce : celle du roi ; et comme celle-là ne vous menace pas, croyez-moi, méprisez toutes les autres ; vous trouverez chez moi vos amis les plus dévoués.

LA MARQUISE. Croyez que je suis touchée de tant de bontés… Mais il est tard… et… je suis mal à mon aise.

Mme DE MIREPOIX. N’allez pas dire que vous êtes malade. À la cour, ma chère amie, on peut être à la mort, mais jamais malade ; parler de souffrances, c’est presque avouer qu’on est en disgrâce, et c’est un plaisir qu’il ne faut pas donner à ses ennemis… à Maurepas surtout, qui ferait une chanson sur votre maladie. Vous êtes un peu pâle, en effet ; eh bien, mettez du rouge, une fleur dans vos cheveux, et vous serez encore la plus belle de toutes.

DUVERNEY. D’ailleurs, si vous souffrez, notre gaieté vous guérira… nous avons des choses très-amusantes à vous raconter. On parle de démissions, d’exil, de guerre. Savez-vous bien qu’on vous accuse de donner au roi l’idée de commander en personne la campagne prochaine ? Ah ! si vous faites de ces choses-là, et que vous lui mettiez en tête de gouverner lui-même, Dieu sait le sort que vous réservent ses ministres !

LA MARQUISE. Je n’ai point tant de crédit, et c’est faire injure au roi que de supposer qu’il ait besoin de conseil pour remplir ses devoirs. Mais ne disiez-vous pas que le roi était lui-même indisposé ?

DUVERNEY. Oh ! tranquillisez-vous, il se porte aussi bien que moi ; seulement le duc de Richelieu étant de retour, il y a sans doute quelque petit souper joyeux dont la reine et le cardinal ne doivent point avoir connaissance.

LA MARQUISE, à part. Qu’entends-je !… (Haut.) Quoi ! vous pensez ?…

DUVERNEY, riant. Que voulez-vous ? on rencontre tant de sévérité à la cour, qu’il faut bien s’en consoler avec les jolies femmes de la ville… cela ne nuit point aux grandes adorations.

Mme DE MIREPOIX. Allons, trêve de folies ; l’heure s’avance ; j’ai déjà du monde chez moi ; allons le rejoindre.

LA MARQUISE. Par grâce… permettez…

Mme DE MIREPOIX. Non ; je n’écoute rien.

LA MARQUISE. Vrai, je ne puis…

Mme DE MIREPOIX. Ce n’est plus pour mon intérêt que j’insiste ; c’est pour le vôtre.

LA MARQUISE, à part. Et mademoiselle Hébert qui ne vient pas à mon secours !

Mme DE MIREPOIX. Il faut qu’on vous voie ; il faut que l’on sache que les misérables procédés d’hier ne peuvent vous atteindre, et que vous saurez tenir tête à l’orage.

LA MARQUISE. Eh bien, je vais passer une robe.

Mme DE MIREPOIX. Gardez-vous-en bien… celle-ci est charmante. Prenez seulement un mantelet, des gants, et revenez vite. Songez qu’il est tard, et que nous n’avons pas un moment à perdre.

La Marquise passe dans son appartement.





Scène VIII.

Mme DE MIREPOIX, DUVERNEY.


Mme DE MIREPOIX. Ah ! mon Dieu !… que de peine pour la décider !

DUVERNEY. Ah ! vous croyez l’avoir décidée ?… Elle ne viendra pas.

Mme DE MIREPOIX. Vous voyez bien qu’elle cède à nos instances.

DUVERNEY. Elle ne viendra pas, vous dis-je ; il y avait dans sa résistance quelque chose d’absolu qui me donne à penser… Elle attend peut-être quelqu’un.

Mme DE MIREPOIX, étonnée. Ici… chez elle… à cette heure ?

DUVERNEY. Qui sait ? il s’est passé bien des choses depuis deux jours… Monsieur de Maurepas a tant d’humeur, le cardinal tant de colère, le roi est si amoureux, la marquise paraît si troublée… tout cela pourrait bien annoncer quelque arrangement définitif.

Mme DE MIREPOIX. Vous vous trompez, monsieur ; si vous connaissiez ainsi que moi madame de la Tournelle, vous sauriez que le roi lui-même ne parviendrait pas facilement à vaincre ses scrupules : c’est une habitude de vertu…

DUVERNEY. Dont l’amour triomphe souvent. (Voyant Mlle Hébert qui vient de la chambre de la Marquise.) Tenez, ne vous l’avais je pas bien dit ?

Mme DE MIREPOIX. Il se pourrait ?…





Scène IX.

LES MÊMES, Mlle HÉBERT.


Mlle HÉBERT. Madame prie madame la marquise de vouloir bien l’excuser, mais elle vient de se trouver mal, et n’est pas en état de sortir.

Mme DE MIREPOIX, à Duverney. Vous aviez raison. Je n’insiste plus. (À mademoiselle Hébert.) Mademoiselle, témoignez tous nos regrets à votre maitresse, et dites-lui que je crains d’avoir poussé mes instances jusqu’à l’indiscrétion.

DUVERNEY. Ah ! madame ! ce n’est pas