Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/10

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LA « VIERGE DE MISÉRICORDE » DE CHANTILLY 7 naît à un M. Rousseau, de la famille de Jean-Jacques, consul de France à Bagdad. Qu’était-il devenu depuis lors? La France, hélas! s’est trop souvent laissé dépouiller des plus précieux fleurons de son patrimoine d’art. Il était à redouter qu’il n’enfûtdu tableau peint par Enguerrand Charonton pour Pierre Cadard, comme de tant d’œuvres emportées loin de leur patrie. Grâce à Dieu! ces craintes étaient vaines. Aussitôt vu le fac- similé donné dans la Gazette des Beaux-Arts de la lithographie de G. Renés, j’eus la joie de pouvoir signaler1 que le tableau cherché, non seulement n’avait pas quitté la France, mais encore appartenait pour jamais à notre pays, à titre inaliénable. Ce tableau se trouve en effet au Musée Condé, à Chantilly, parmi les trésors .d’art réunis par M. le duc d’Aumale, n° 111 des écoles étrangères. M. le duc d’Àu- male lui-même l’avait acquis en 1879 de M. Reiset. L’examen de l’original, à Chantilly, permet de vérifier à quel point M. Bouchot a été clairvoyant, en rapprochant de la lithographie re¬ trouvée par M. Rafïet un des textes relatifs à Enguerrand Charon¬ ton publiés par M. l’abbé Requin. Nous possédons, dans le Triomphe de la Vierge de l’hospice de Villeneuve-lès-Avignon, une peinture que nous savons avoir été commandée à Charonton en 1453. Si la Vierge de Miséricorde de Chantilly est bien l’œuvre demandée pour Pierre Cadard au même Charonton un an plus tôt, en 1452, il doit y avoir des rapports étroits entre les deux peintures. Or, ces rapports existent en réalité et frappent à première vue de la façon la plus évidente. Des figures entières se retrouvent iden¬ tiquement de part et d’autre. Le saint Jean-Baptiste et le saint 9 Jean l’Evangéliste qui accompagnent Jean Cadard et Jeanne des Moulins dans la Vierge de Miséricorde de Chantilly réapparaissent dans le haut du Triomphe de la Vierge de Villeneuve, à droite et à gauche du groupe central. Aux pieds de la Vierge de Miséricorde sont groupés, suivant leur ordre hiérarchique fixé par la tradition, sous le bras droit de la Vierge, les chefs du monde ecclésiastique, le pape, le cardinal, l’évêque, le moine, sous son bras gauche les puissants du monde laïque, l’empereur, le roi, la reine. Ce roi, cet empereur, ce moine, nous les retrouvons exactement dans la partie gauche du tableau de Villeneuve, vers le bas. Les traits du cardinal et de l’évêque de Chantilly sont respectivement pareils aux traits des deux papes qui sont l’un à droite, l’autre à gauche du Triomphe t

1.\tCf. Chronique des Arts, u° du 4 juin 1904, p. 186.