Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/14

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10 GAZETTE DES BEAUX-ARTS paraisse avoir été conduite avec soin, le fond d'or a souffert. D’autre part, dans le coloris, tous les tons n'ont pas résisté d'une manière égale à l'épreuve du temps. La Vierge montre une robe de brocart d'or, a trame brune, et un manteau bleu doublé de blanc. Saint Jean- Baptiste est enveloppé d’un grand manteau rose lie de vin. Saint Jean l'Évangéliste est vêtu d'une robe bleue et d’un manteau rouge. Auprès de la Vierge, le roi est en rouge, la reine en bleu, l'empereur en robe d’or et manteau blanc. Le cardinal est habillé d'écarlate et le pape est drapé dans une chape rouge vif. Enfin, Jean Cadard porte un vêtement gris, et Jeanne des Moulins une robe noire. Après quatre siècles et demi, les rouges, l’écarlate et le rose ont conservé toute leur intensité; les bleus, au contraire, ont foncé, au point de deve¬ nir parfois presque des noirs, et les ors se sont éteints. L'harmonie générale doit donc être différente de ce qu'elle était à l’origine, où les rouges ne prédominaient pas comme aujourd'hui. Mais, sauf ces réserves, la peinture de Chantilly se présente dans un état satisfai¬ sant de conservation. Les têtes surtout y sont bien intactes. Nous sommes loin, hélas ! de pouvoir en dire autant du tableau de Ville¬ neuve. La peinture de Chantilly l’emporte également sur celle de Ville- neuve soxis le rapport de la valeur d’art, Çour le Triomphe de la Vierge, commandé en 1453, un programme très compliqué, dont le texte nous est parvenu, avait été imposé à Enguerrand Charonton. Le malheureux artiste a dû se débattre contre la nécessité d'intro¬ duire dans son œuvre un très grand nombre de figures et des scènes épisodiques dans le bas. Pour la Vierge de Miséricorde de 1452, le thème était plus simple. Au milieu, la Vierge, dans une attitude lixée par la tradition et souvent répétée précédemment; à sa droite, « à dextre », comme on dit en blason, le portrait de Jean Cadard pré¬ senté à la Vierge par son patron saint Jean-Baptiste ; « à senestre », le portrait de Jeanne des Moulins, sous la protection de l’autre saint Jean : voilà les seules grandes lignes données par l’acte de com¬ mande. L'auteur a pu ainsi créer plus librement une composition plus harmonieuse de lignes, plus claire, plus pondérée. Il a été aussi, très souvent, mieux inspiré pour chacune des figures prises en particulier. La Vierge de Chantilly a une expression de douceur attendrie et rêveuse, très supérieure à la placidité — placidité véri¬ tablement un peu trop accentuée malgré son charme que j'oserais presque dire japonais — de la Vierge couronnée dans le tableau de Villeneuve-lès-Avignon. Enfin, dans le Triomphe de la Vierge, le