Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/143

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L’EXPOSITION DES PRIMITIFS FRANÇAIS Vierge de Fouquet dans Y Adoration des Mages. L’enfantelet, avec scs petits yeux gris, perçants, nettement enchâssés, sa bouchetle line, son ventre rondelet, est le frère cadet, mais bien mieux venu, délicat et assoupli, du Jésus trop réel, encore si pesant et mal dégrossi, porté par Agnès Sorel dans le triptyque de Melun. Les anges, deux jumeaux, avec leurs fronts larges, leurs joues pleines, leur piété calme et naïve, sont déjà ceux de la Vierge aux anges et du triptyque de Moulins. Le peintre ne variera guère leur type provincial, non plus que celui de l’Enfant. La Vierge seule, sous une influence ignorée, celle d’une œuvre italienne peut être, ou, simplement, celle d’un autre modèle local, se modifiera. Dans la Vierge aux anges, son visage, moins jeune, s’élargira, se régularisera, deviendra aussi moins naïf; l’innocente campagnarde tourne à la noble dame. Autour d’elle, son cortège ne change pas ; à Moulins, comme à Autun et Anvers, ce seront les mêmes Enfants de chœur, mais grandis, adolescents, qui toujours l’adoreront si pieusement, si gentiment, avec leurs mains fines, un peu petites, diversement tendues, fermées, ouvertes, jointes ou croi¬ sées. Dans cette monotonie familiale des types, les variétés d’une même expression par les nuances de l’attitude, du geste, de la phy¬ sionomie sont infinies, d’une délicatesse extrême. Rien ne prouve mieux une imagination d’artiste, une àme de poète, éprises de per¬ fection. Cette âme, cette imagination se révèlent mieux encore dans les transformations du Bambino. D’une église à l’autre, couché à Au¬ tun, assis à Anvers et à Moulins, cette fois plus droit et plus ferme, le petit Jésus se développe, s’éveille, regarde, comprend ; d’abord nourrisson attentif, qui écoute; puis Dieu précoce, qui pense, parle et bénit. La même intelligence, la même aspiration vers une beauté plus complète par l’unité des expressions, par le rythme des formes, par les modulations lumineuses progressent aussi dans les trois œu¬ vres. L’unité d’expression, cette caractéristique du génie français, est déjà remarquable dans la première, bien que la composition, naïvement éparpillée, v reste celle des miniatures ; elle s’accentue déjà dans la seconde, où tous les visages sont si'attentifs au dialogue dç la Mère et de l’Enfant; elle devient tout à fait saisissante, enchan¬ teresse dans le paradis éclatant de Moulins, où toutes les extases des anges adorateurs convergent, parmi les cercles successifs de lumières colorées, vers la Mère triomphante en son halo dé pourpre et d’or, et forment autour d’elle comme un second nimbe multicolore d’êtres vivants et mouvants. Si délicieusement poétiques que soient toutes ces figures, ce ne