Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/214

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■180 GAZETTE DES BEAUX-ARTS un personnage du chœur antique, exprimer toute la mélancolie de la destinée humaine. Il semble dire, cet humble clerc qui, depuis sept cents ans, monte sa garde à celte place : « Hoclic tibi,cras miiti. » Or, rappelons-nous que jusqu’au jour où le goût de pompeuses et fades allégories nous fit déranger, pour les asseoir en pleurs au¬ tour d’un tombeau, ces froides personnifications du Temps, de la Sa¬ gesse, de la Fortune qui n’en peuvent mais, nos morts — et l’on peut dire les morts de la chrétienté tout entière — n’ont eu comme témoins de leur dernier sommeil — en dehors du Christ, de la Vierge et des saints convoqués en témoignage de foi et comme défenseurs dans les jugements d’outre-tombe — que ces modestes personnages humains : les acteurs de la cérémonie des funérailles, prêtres, clercs, parents ou amis du mort, drainants^ plorants i. Peu à peu ces figurants sont sortis de leur impassibilité de simples spectateurs; ils se sont émus, attendris; on a vu leurs tètes se pencher, des gestes de désolation s’esquisser; ils sont devenus les pleureurs des tombeaux de Bourgogne si tragiques, si vivants, si humains et qui ont fait à travers toute l’Europe une si prodigieuse fortune; un jour ils se sont levés, ont pris le mort sur leurs épaules et l’ont emporté en un dramatique cortège comme au tombeau de Philippe Pot. Serait-il excessif de voir dans le geste apitoyé du clerc de Reims quelque chose comme une esquisse et un germe de tout le dévelop¬ pement historique de ce thème fécond2? À travers tout le moyen âge, du xie siècle à l’extrême fm du xvc, l’iconographie d’un tombeau français, quelle qu’en soit d’ailleurs la forme ou la matière, se compose uniquement de ces trois éléments diversement combinés et mêlés dans des proportions différentes (l’un t. On trouve des scènes de funérailles et des pleurants en nombre infini dans les tombeaux dès le début du xine siècle. Les exemples illusLres des tombeaux du frère de saint Louis et de son fils Louis (f 1269) n’ont rien innové en ce genre. Parmi ceux qui peuvent être rapprochés de l’objet de notre étude comme offrant le motif du livre et du seau d’eau bénite, je citerai le tombeau d’Henri de Troon (j- 1219) à Saint-Dénis (Gaignières, Pe lia), le tombeau de Doin Chastelet (abbaye d’Evron, xui° siècle(ibid.,Pe 2), celui de Jean Villiers de ITsle-Adam à l’abbaye de Saint-Lucien de Beauvais (ibid., Pe 3), un tombeau du xme.siècle à Saint-Aubin d’Angers (ibid.,Pc 1 f; Gaignières d’Oxford, calque au Cabinetdesestampes), enfin un magnifique tombeau peinl, plus tardif, à Saint-Philibert deTournus(Saône-et-Loire) (relevé dans la collection des Monuments historiques, Bibliothèque du Troca- déro).De la même époque encore le joli tombeau de Chénérailles (Ann.arch., t.IX). 2.\tL’abbé Texier (Annales archéologiques, t. IX) notait avec finesse au tombeau déjà cité de Chénérailles cette même nuance : là aussi c’est l’acolyte plus jeune et moins délaché de la vie qui s’ément le premier.