Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/253

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS à exprimer la chair dTm visage dans son ferme tissu et jusque dans sa tiède moiteur au point où y a réussi l’auteur de la toile anonyme. Son pinceau, plus habile, pour ainsi dire, à distiller qu’à triturer, n’a pas l’onctueuse abondance qu’il faut pour y parvenir; ce qu’il tra¬ duit dans ses carnations, c’est la vaporisation, le velouté, l’effumé, le dehors en un mot plutôt que le dedans. Son art consiste surtout en une piquante légèreté. Celle-ci s’étend à toute son œuvre, pour laquelle il se soucie plus de nuances séduisantes que de fermeté matérielle; si bien que ce qu’il y a, avouons-le, d’un peu lourd, mo- tone, effacé dans le rendu des étoffes de Y Inconnue, il en aurait varié les teintes par de délicates enveloppes d’ombres, par une sorte de chiffonné élégant, écho adouci des gonflements de draperies de Lar- gillière. Toutes les parties de la toile eussent été ainsi parcourues par la même vivacité de pinceau et tenues reliées en une parfaite éga¬ lité de facture. — L’image de la salle La Caze révèle au contraire une lente et patiente application. Là où Tocqué ne voulait pas s'attarder, il s’en tirait du moins par une indication plaisante, il amusait tou¬ jours; là où l’auteur anonyme ne s’arrête pas, il laisse indifférent; il a les transitions pénibles. Le plissement des étoffes, qui, dans le premier portrait, se soulevait en un alerte horizontalisme, biaise ici lourdement vers la verticale, rendu par d’insistantes traînées de pinceau; les cordonnets, les nœuds, toute la garniture du corsage bleu est quelconque, sans accent, sans intérêt; de tout le vêtement, seul le tour de cou blanc, de par la grasse composition qui y a été employée, de par la façon dont il se fond dans la lumineuse exhalai¬ son des chairs et s’incorpore en quelque sorte à elles, offre un délicat et savoureux morceau; et combien il diffère de celui de Mme Danger exprimé en une pâte sèche qui ne se mêle à aucune ambiance et volète isolément autour de répiderme, sans se noyer dans sa vapeur! A défaut de la facilité, l’auteur de la Femme inconnue a la solidité. Il a aussi la pénétration. Il a poussé l’analyse d’un visage aussi profondément qu’elle pouvait aller; l’observation physiologique n’y a pas été inférieure à l’observation psychologique. Nous sentons sur la toile toute la morbide contexture de ces carnations ivoirées; la vie de matière dans sa moiteur, dans ses pulsations, y est admirable de vérité. 11 a fallu pour une telle étude un peintre disposant d’une pâte onctueuse dans laquelle il pût modeler exactement comme avaient fait les doigts du temps sur la chair de cette femme presque quinquagénaire. Aved, en ses bons jours, n’était pas incapable de réunir les élé-