Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/269

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236 GAZETTE DES BEAUX-ARTS traduction magistrale. L’ange, dans une envolée terrible, l’épée au poing, pour marquer sa puissance exterminatrice, étend le bras vers la porte que la Mort frappe violemment de son dard. Dans ce groupe de deux personnages, tout indique la force irrésistible du fléau dévastateur, et fait comprendre ses causes premières. Ses effets désastreux se font immédiatement sentir, et l’on voit, tout à côté, deux corps se tordant dans la douleur. N’est-il pas poignant et digne de la tragédie antique, ce geste de la femme qui tend le poing vers Esculape, le dieu sauveur, Salvator, et, par ses imprécations lui reproche son impuissance? Et ce malheu¬ reux jeune homme qui attend la mort, résigné à son sort, comme frappé par la fatalité, ne rappelle-t-il pas les inexorables arrêls du Destin, Fatum, cette puissance à laquelle les dieux eux-mêmes étaient soumis? Tandis que se déroule cette scène, souvenir d’un paganisme encore quelquefois en honneur, du temple chrétien sor¬ tent, portées en procession solennelle, précédées de la croix, les reliques de saint Sébastien, de celui qui, par son efficace interces¬ sion, doit arrêter les effets de la colère divine et délivrer la ville. Voyez quel sentiment dramatique a inspiré Delaunay et lui a permis de raconter cette légende, en faisant comprendre au specta¬ teur les souffrances physiques et morales d’un peuple terrifié, ne sachant plus, dans son affolement, à quelle protection surnaturelle il doit s’adresser pour obtenir la cessation de ses misères. Le peintre a concentré en une seule scène l'émotion la plus forte que puisse faire éprouver ce drame palpitant. Delaunay a su également associer la couleur à l’intensité de l’effet de la composition. Cet ange, à l’abondante chevelure blonde, à la carnation fraîche, pleine de divine jeunesse, aux ailes blanches et presque lumineuses, personnage véritablement céleste, est vêtu d’une longue tunique d’un rose tendre et délicat, tandis qu’une large draperie noire cache à peine la nudité de la Mort, vieille femme dont le corps nerveux fait effort pour frapper ses coups redoutables. Il y a une harmonie parfaite entre la pensée et l’exécution. Tout en décernant à Delaunay les très justes éloges qu’il mérite, ne jetons pas trop la pierre à Pollaiuolo. Qu’il soit ou non l’auteur de la fresque de Saint-Pierre-aux-Liens,— car nous n’avons, pour la lui attribuer que de fortes présomptions et non pas des preuves bien certaines, —cette peinture appartient sans conteste à cette bran¬ che de l’école florentine restée jusqu’à la fin du xvc siècle tout parti¬ culièrement narrative et naturaliste, très voisine en cela de l’école