Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

246 GAZETTE DES BEAUX-ARTS s’opéraient naturellement en lui avec une logique succession ascen¬ dante. Ceci revient à dire que, sous des influences multiples où pré¬ vaut l’instinct, influence du dedans, sur les influences extérieures, les déformations s’engendrent chez ce déformateur inconscient et génial. Et c’est ainsi qu’il accomplit une carrière dont les points extrêmes sont, comme valeur, véritablement des points extrêmes. Dans son activité sollicitée de toute part, les voyages ont une influence salutaire sur son développement : c’est par eux que ses théories s’évanouissent devant le spectacle de choses qui le trans¬ forment. IL semble qu’il découvre dans la nature des merveilles aux¬ quelles il ne croyait pas. Il entre dans un monde de réalités splen¬ dides où des suggestions nouvelles stimulent ses facultés créatrices. Le domaine de l’artiste lui apparaît plus vaste. Ce qu’il cherchait en lui et chez les maîtres pour alimenter ses facultés, il le trouve en profusion hors de lui et hors des maîtres. Mais il procède avec ses visions de nature comme avec ses visions d’art; il déforme tout ce qu’il voit, dans une exaltation qui le mène à donner un caractère de généralité à ses visions. Devant la nature il ne conçut que la grande impression, comme, dans la théorie, il ne concevait que le grand style. Mais il n’eut pas le grand style comme il eut celui de la grande impression. La première fois qu’il quitta Londres, il n’alla pas loin. Ce fut en 1793, et la tournée comprit Margate, Cantorbéry, Rochester, Douvres. En 1795, il parcourut le Derbyshire, s’arrêta à Nottingham, Worcester, Birmingham, Chester, Tunbridge, Bath, Bristol, Wind¬ sor et maintes autres villes. Sa première excursion dans le Yorkshire est de 1797. Il visite la Suisse et une partie de la France en 1802. Ses déplacements en Angleterre sont constants durant toute sa vie. Souvent il a passé le détroit. La France et la Suisse l’ont attiré cinq ou six fois, et de 1819 à 1840 il a fait trois fois le voyage d’Italie. Ces trois voyages ont une importance considérable. L’Italie n’a pas eu sur Turner l’influence habituelle. Depuis cer¬ tains Flamands et Hollandais du xvie siècle jusqu’à nous, combien de peintres en ont fait le pèlerinage et, libres au départ, en sont reve¬ nus avec les entraves du classique? Où les autres se sont asservis, lui, il s’est libéré. N’ayant pas ressenti en Italie une impression qui correspondait à l’idéal qu’il avait élu, et sincère dans l’impression qu’il éprouve, cet idéal se décompose et, après le dernier voyage, en 1838, il n’en reste plus trace. Le premier voyage était de 1819 et le second de 1829. L’exposition du Guildhall devait rendre plus profonde la connais-