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258 GAZETTE DES BEAUX-ARTS Le meilleur tableau allemand de cette année me semble être la Glèbe de Fritz Mackensen de Worpswede (que nous reproduisons en tête de cet article). La pro¬ fondeur du ton évoque presque Millet. Le rouge brun de la terre, de la chau¬ mière et de la forêt, la' menace du ciel que parcourent les nuages, puis les formes grandioses des travailleurs qui semblent faire un avec la terre, .tout cela se réunit en un sublime chant de travail d’une élévation singulière. Mackensen a, par ce tableau, pris place au premier rang des peintres allemands actuels. En fait de sculpture, Y Archer de Friedrichs, un nouvel artiste mis en lumière par la Sécession, est à mentionner. Ce morceau de nu plus que grandeur nature, ne mérite en aucune façon les éloges hyperboliques qu’on lui a adressés,— beau¬ coup même ont eu la folie de le comparer à Rodin; — c’est néanmoins une œuvre intelligente et pleine de talent, mais qui promet plus qu’elle ne donne. Le buste en bois d’un journaliste de Berlin, par Max Kruse, mérite d’être placé à un tout autre rang. Cela est un clief-d’œuvre. Le modèle, saisi sur le vif au moment où il raconte une anecdote sarcastique, n’a rien perdu de sa souriante réalité. Nous ne possédons peut-être aucun buste-portrait qui vaille celui-ci. Parmi les étrangers il faut surtout nommer Whistler dont le magnifique por¬ trait de l’écrivain Duret nous remet dans l'esprit ce que l’art avait perdu en ce grand peintre. Ses peintures nous rappellent toujours ce que doit être en réalité le portrait. C’est une chose admirable que la manière dont ici le modèle se dé¬ tache sur le fond blanc. La façon dont le peintre a résolu le problème qui, pour la plupart des artistes d’Allemagne, demeure insoluble, celui du costume moderne masculin, et dont il a évité la monotonie en jetant sur le bras gauche de son modèle un manteau de dame qui ajoute une certaine légèreté à l’ensemble, donne toujours matière à rélléchir. Sans êLre àTa même hauteur, mais toutefois restant, même après cela, une œuvre intéressante, un portrait de femme par l’Écossais John Lavery, plein de distinction naturelle, mérite d’être, signalé. Les couleurs prédominantes, le bleu, le jaune, le blanc, se fondent ensemble sans effort. Les cheveux ainsi que la ligne de la robe en guipure sont d’une grande beauté, Lavery demeure toujours un des meilleurs peintres de la femme. En tout cas on pourrait lui envier ses modèles. Anders Zorn offre une image de sa femme dans laquelle l’effet de la robe et de la coiffure l’emporte trop sur le cadre. C’est déjà un tableau ancien de ce maître, et non son meilleur. Le portrait de Jonas Lie par Stephan Kroyer est une œuvre très belle, peinte en virtuose, mais où les détails un peu trop finis de la chambre nuisent à la per¬ sonnalité du modèle. Le Danois Hammershoj, un tout nouveau peintre, offre une seule œuvre, mais une œuvre de maître. Il la nomme simplement Cinq portraits, C’est, sur un fond argent gris, où elles se détachent comme des figures de rêve, des personnes groupées autour d’une table. Mais que de finesse, de qualité rare dans chacune de ces figures et quel lien secret les réunit toutes! Ce n’est pas là seulement le résultat de la science technique, il y faut encore l’âme d’un grand et rare artiste. Dans la section française nous rencontrons une excellente étude de tête par Besnard. Le Portrait de la famille Langweill, par Jacques-E. Blanche nous semble, par contre, insuffisamment approfondi ; à côté d’un charme de coloration très délicat, il manque un peu de simplicité. Nous avons vu des tableaux bien