Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

26 GAZETTE DES BEAUX-ARTS qu’elle a maintenu parmi les artistes de ce Salon le culte de la grande peinture décorative,, et, cette année, avec un particulier bonheur. Ce n’est pas qu’en ce genre toutes les toiles exposées soient d’un égal intérêt. En dépit d’une louable et consciencieuse correction, M/ Tattegrain n’est pas arrivé à donner du charme à la Distribution des récompenses de VExposition de 1900, et M. Cormon a mis plus de verve et de poésie à* esquisser une Bacchanale qu’à fixer pour la pos¬ térité le Banquet des maires. M. Berges lui-même, qui a le sens des batailles et le don du mouvement, laisse le spectateur plus étonné qu’heureux devant sa composition, brillante certes, mais bariolée et confuse à l’excès; Y Episode de la guerre d'Espagne de l’an dernier n’avait pas moins d’allure, et il était plus clair et mieux ordonné que Sotes les bombes. Les deux toiles hors de pair, ce sont ici celles de M. J.-P. Laurens et de M. Henri Martin. Et,si l'on avait à choisir, peut-être trouverait-on que la plus jeune et la plus inspirée est celle du vieux maître. C’est un rare exemple que celui d’un artiste, déjà chargé d’honneurs et fier d’une carrière considérable, qui ne se lasse point de chercher et de se renouveler. Le peintre austère des armures et des pourpoints, l’amateur des salles royales, l’évocateur du passé, de l’histoire et de la légende, a pris cette fois dans la vie réelle et présente le sujet de son œuvre. Déjà, il y a sept ans, on l’avait vu se plaire au paysage de son très beau Laitraguais ; puis on l’avait vu prendre dans les péripéties du 24 fécrier 1848 le thème d’une amusante et vivante esquisse. Les Mineurs que M. J.-P. Lau¬ rens expose cette année sont une œuvre de profonde poésie. Sur la route qui vient des usines passent noires et lassées d’in¬ terminables files d’hommes et de femmes. Ils s’en vont après une journée de labeur, fatigués et indifférents au chemin familier. Der¬ rière eux s’étend la suite panoramique des toits rouges, des chemi¬ nées fumantes, des maisons grises au soir tombant. À l’horizon, cependant, les clartés du soleil qui se couche baignent les collines vio¬ lettes et enveloppent d’une beauté presque joyeuse ce coin de naiure sereine, indifférente à ceux qui passent sur le chemin sombre, ignoré d’eux. Nulle violence, nul effet théâtral dans cette vaste composi¬ tion : une extrême simplicité, une scrupuleuse vérité, une magistrale fermeté; l’auteur n’a point souhaité de mettre en peinture telle page de roman réaliste; il a seulement traduit son émotion personnelle; si la conception demeure ample, la peinture ne cesse pas d’être douce à l’œil, et ce qu’elle a d’épique ne la retient pas d’avoir du charme.