Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/32

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28 GAZETTE DES BEAÜX-AUTS Le grand triptyque de M. Henri Martin décèle une égale vigueur; vu de trop près et mal exposé, le tableau, il est vrai, semble d’une bigar¬ rure trop éclatante; mais il sera plus tard regardé à une distance où disparaîtra Pelle t dû à la facture spéciale de l’auteur. L’œuvre est destinée à la Caisse d’épargne de Marseille; cette destination même déterminait le sujet. Marseille a fourni le décor, et le triptyque glo¬ rifie l’épargne. A gauche, dans la lumière du matin, les coques mul¬ ticolores se balancent sur l’eau du vieux port; des enfants suivent le quai; ils vont à l’école et, tout en marchant, relisent leur livre de leçon ; c’est le premier travail, c’est l'initiation, et comme la pro¬ messe des autres travaux. Au centre, voici dans la pleine lumière du Midi le même quai et les mêmes bateaux, dont les mâts s’enchevê¬ trent comme en une bataille ; des groupes d’hommes, pressés, mêlés eux aussi lesuns aux autres comme les mâts, déchargent les bâtiments, vont et viennent avec une gracieuse ardeur; C’est l’âge du labeur acharné, l’âge des efforts quotidiens, l’âge où l’activité s’épanouit, et oii les vastes espoirs fleurissent. Et à droite, dans le dernier panneau, le soir est venu ; à l’horizon, une ligne de collines se devine dans la brume dorée du crépuscule; Notre-Dame-de-la-Garde se dresse au- dessus de la mer; l’ouvrier et l’ouvrière devenus vieux se reposent désormais, grâce à l’épargne qu’ils ont amassée ; ils se promènent sur le quai témoin jadis de leurs peines; devant eux marche une petite fille bien vêtue en qui s’unissent leurs souvenirs et leurs rêves. Dans cette grande composition, c’est d’abord tout Marseille qui revit, plein de lumière et de mouvement ; une variation savante y rappelle les mêmes objets, les mêmes êtres sous trois aspects divers. Il y a là une entente remarquable du développement, une fécondité d’impressions et une science des ensembles qui font du Travail de M. Henri Martin « une œuvre qui reste et qui rappelle à la mémoire le grand nom de Puvis de Chavannes. Mais depuis l’époque des fresques du Panthéon jusqu’à nos jours, combien la grande peinture décorative semble avoir perdu de la poésie qui l’emplissait! Combien elle semble aussi s’atiacher davantage à l’expression de la vie ! En dépit du charme qui environne les collines de la route des Mineurs ou les quais étin¬ celants sous le soleil du Travail, c’est la peinture de la vie, saisie dans sa réalité matérielle, qui a tenté M. J.-P. Laurens comme M. Henri Martin. C’est un signe. Il manifeste une tendance intime de nos contemporains à étudier la vie dans toutes ses expressions, et il n’est point particulier à la peinture décorative.