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328 GAZETTE DES BEAUX-ARTS décorant les jardins et aussi, par des conceptions larges et raison- nées, qui peuvent rivaliser avec les chefs-d'œuvre de l'Occident, où les grandes lignes sont dominantes, où la surabondance de la richesse décorative, loin d'être incompatible avec le bon goût, offre un charme particulier, et où les belles proportions rappellent celles de l’ancienne Egypte. Certains chefs-d'œuvre de la Grèce antique de Phidias ou de Praxitèle pourraient seuls surpasser en beauté ce torse de la déesse Lakmi. Ces figures de bayadères sculptées en frises décoratives char¬ mantes; cette nymphe céleste sur la stèle, trouvée près du temple de Beng Méaléa, et le délicieux feuillage du fronton qui l’entoure; ce portrait original du roi khmer Cootre, assis, à l’expression can¬ dide et superbe, dans la pose affectée aux rois, un genou levé, l'autre à terre, nous dévoilent l'élévation et la grâce dans ces tracés carac¬ téristiques de figures humaines. Et ces fragments d’une architecture savamment conçue, ces sculptures décoratives qui se multiplient sur les murailles, ces portraits symboliques des divinités brahmaniques et bouddhiques caractérisant admirablement l’esprit des dieux qui trônent au sein des Nirvanas,' affirment la grandeur et la pureté des formes de l'art de l’ancien Cambodge, plus larges que celles de l'art de Java et plus brillantes que celles de l'art de Ceylan, contempo¬ rains, qui illustrèrent l’Orient aux premiers siècles de notre ère. Resserré entre; la Chine et l'Inde, l’ancien Cambodge s'est for¬ tement imprégné des qualités artistiques qui leur sont propres, mais sans s’y assimiler complètement. Avec un goût particulier, il a combiné ces deux éléments très différents, et il est arrivé â un point de perfection que ces deux pays n’ont point atteint. L’art khmer proprement dit, ou l’art de la décoration cambod¬ gienne, pour nous en tenir à cet unique point de vue, ne peut être mis en parallèle avec aucun autre du monde antique. Nulle part on ne trouve réunis plus de grandeur, de variété et de caprice; nulle part on ne rencontre plus de savoir dans la sculpture en bas-relief employée à profusion sur les monuments. Les figures dominantes, sculptées jusqu'à la ronde-bosse, se détachent et font valoir, par les ombres qu’elles projettent, les bas-reliefs qui les avoisinent, amenés insensiblement jusqu'à des proéminences à peine palpables, éloignant les sujets, jusqu’aux lointains, à mesure qu'ils diminuent d’épaisseur à la surface de la pierre; et les décors sont composés avec tant d'habileté et de science, que c’est un enchantement pour les yeux qui ne sont jamais troublés par un détail hors.