Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/400

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LE PORTRAITISTE AVED ET CHARDIN PORTRAITISTE 351 main de son compagnon, et même Chardin n’aurail-pas tout sim¬ plement habillé certains portraits d’Aved, qui seraient alors des Chardin jusqu’au cou? Ainsi, sur la toile de Carnavalet, lequel des deux a peint ces dentelles rendues avec ces beaux blancs crémeux, fréquents dans l’œuvre de Chardin, et qui faisaient le désespoir de Decamps, ici ramassés, tapotés, là traînés patiemment en minces filets selon le dessin capricieux du point, réussissant à en traduire à la fois la profusion et la légèreté? De même, les dentelles dans le por¬ trait de vieille femme que conservait la baronne de Conantre, sur lesquelles Edmond de Goncourt s’extasiait, à qui les attribuer? Char¬ din n’était certainement pas incapable de « cuisiner » de pareils mor¬ ceaux ; mais notons aussi en faveur d’Aved que les observations les moins louangeuses que cet artiste ait encourues de ses contemporains n’ont pas une seule fois mis en doute l’entière paternité de ses œuvres. Peut-être, après tout, y avait-il tout simplement pénétration réciproque de leurs alents1. Des renseignements plus détaillés sur Aved amèneraient sans doute des révélations pleines d’intérêt sur l’œuvre et la vie de Chardin. Tout ce qu’on sait de leurs rapports se réduit presque à l’anecdote de Mariette et d’Haillet de Couronne, qui nous montre Chardin plaisantant son camarade sur ses exigences touchant le prix des commandes. Peut-être, dans cette figure d’Alchimiste ou Philo¬ sophe lisant, dont le souvenir nous a été conservé par le burin de Lépicié, faisait-il allusion aux manies de chercheur ou de collection¬ neur de son collègue, manies qui auraient tenu celui-ci plongé au milieu d’un pêle-mêle de bric à brac, dans le déchiffrage d’in-folio redoutables. Une fois, il le convia à un événement important de sa vie : sur l’acte de son second mariage, Aved est en effet inscrit au nombre des témoins comme « amy de l’époux ». Les deux artistes ne manquaient pas non plus d’échanger l’appui de leurs relations mondaines. Le comte de Luc, le fils de ce personnage qui avait pro¬ tégé les débuts d’Aved à Paris, possédait, en même temps qu'une fière image de sa propre personne par le portraitiste, un Retour de chasse par son compagnon; d’autre part, le banquier Crozat appré¬ ciait hautement le talent de Chardin et conservait de lui plusieurs 1.\tLui et Aved avaient envoyé le même sujet à leur première exposition au Louvre, en 1727. Rappelons, à ce propos, qu’Aved possédait dans sa collection un Philosophe lisant, par Rembrandt. — Reste à savoir si cette première repré¬ sentation de Philosophe n’offrait pas déjà un portrait d’Aved jeune, et si, d’autre part, le Philosophe d’Aved n’était pas un portrait de Chardin. Mais les deux ta¬ bleaux sont égarés, et aucun n’a été gravé.