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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/497

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436 GAZETTE DES BEAUX-ARTS juge sinon contemporains, au moins peu postérieurs à ceux de Dijon et où il reconnaît des qualités analogues, il se demande si l'art hollandais et l’art bour¬ guignon ne seraient pas des frères; ils auraient tous deux même origine, et celle de l’un étant connue, celle de l’autre ira.iL de soi : l’origine de l’art bourguignon serait donc allemande. Pour M. Pit, un art aussi puissant qu’était au xuc siècle la sculpture saxonne de Halberstadt, de Hildesheim et du tour du chœur de Bamberg, ne meurt pas tout entier; quelque chose en survit toujours, qui s’éclipse parfois, mais reparaît sourdement et puis surgit tout à coup; or, à côté des monuments d’influence française si nombreux en Allemagne aux xm° et XIVe siècles, des traces de cette survivance latente du grand art réaliste alle¬ mand se rencontrent, dit-il. C’est un petit Couronnement de la Vierge, à Halber¬ stadt, ce sont à Mayence divers monuments de la cathédrale, —ce sont certains morceaux aussi de la sculpture hollandaise, — et comme les qualités que M. Pit estime dans ces monuments sont précisément à ses yeux celles que Sluter porta au plus haut point, cette hypothèse se présente à lui que Sluter, dont un docu¬ ment publié par M. Steiu donne le père comme Mayençais1, et qui a dû ap¬ prendre son art en Hollande où il est né, serait l'héritier, comme les sculpteurs hollandais, ses maîtres, de la grande école allemande du xnc siècle. C’est là qu’il faudrait chercher son origine et celle, par conséquent, du réalisme de toute la sculpture du xv° siècle2. Et certes, Tonne saurait nier que l’idée est ingénieuse, seulement on voudrait, pour l’adopter, qu’elle fût fondée sur des preuves plus évidemment convaincantes. L’origine mayençaise de Sluter est aussi peu certaine que possible : ce « [Sjeseurre )> de Mayence, maçondu ducde Berry, qu’adécouvert M. Stein, n’est Sluter, et père de Sluter, que par une série de suppositions3; et ce n’est là que le moindre mal; mais vraiment les monuments que présente M, Pit ne nous paraissent pas suffisants pour admettre son raisonnement. Qu’on rencontre en Allemagne, au xivc siècle, des sculptures où ne se marque pas l'influence française, c’est certain, toutefois nous n’apercevons pas les rapports entre ces morceaux et l’école de Dijon; un seul, un tombeau de Mayence, présente, nous le reconnaissons, des plis très sem¬ blables à ceux de la statue de la duchesse de Bourgogne à la Chartreuse, mais on ne saurait oublier que ce tombeau, anonyme et sans date, pourrait tout aussi bien, comme la plupart des monuments qu’on nous cite, suivre que précéder Sluter. Certaines des statues que M. Pit publie pour la première fois, telles que la Sainte et le Saint Georges du musée d’Utrecht, sont charmantes en vérité et fi elles ont comme un arrière-goût allemand, il a parfaitement raison de les donner comme proprement hollandaises; mais elles n’ont rien à nos yeux du puissant réalisme lyrique des Dijonnais et nous croyons que cette fois encore, malgré l’indéniable ingéniosité de l’hypothèse de M. Pit, le problème des origines de la sculpture bourguignonne demeure irrésolu. 1. Claus Sluter l’aîné et Hannequin de Bois-le-Duc à la cour de Jean, duc de Berry en 1885 (Bibliothèque de l’École des Chartes, 1899). 2. On pourrait rapprocher cette hypothèse de certaines observations intéressantes faites sur le caractère réaliste de diverses sculptures allemandes du xrn° siècle par M. Moritz-Eichborn : Der Skulpturencylus in der Vorkalle des Freiburyer Münsters und seine Stellung in der Plastik des Oberrheins. Strassburg, Ileitz, 1899, in-8°. 3. M. Henri Chabeuf a résumé, dans la Correspondance historique et archéologique de 1899 (p. 211-213), les graves objections qui s'opposent à l'hypothèse de M. Stein.