Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/518

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS exacte du tableau du maître1. Elles sont un précieux témoignage de ce qu’était alors la grande peinture, que nous connaissons si mal. Nous venons d’indiquer les ressemblances qu’offre cette nouvelle œuvre de Bourdichon avec celles que nous connaissons déjà. Il est juste maintenant d’en marquer l’originalité. Bourdichon a beau se répéter : dans chacun de ses livres il y a place pour quelques idées neuves. Ce qui est nouveau ici, c’est d’abord le calendrier. Non qu’on n’y retrouve des scènes très analogues à celles qui ouvrent les Heures d’Anne de Bretagne. Plusieurs mois se ressemblent fort. Cependant quelques sujets sont conçus tout autrement. Janvier n’est plus un bourgeois de Tours qui rentre chez lui sous la neige : c’est un pay¬ san qui marche sous un ciel clair, dans un air glacé où se détachent nettement les silhouettes nues des arbres. En février, un vilain traverse une cour de ferme en portant du bois : un ciel pâle et des corbeaux perchés sur les toits font sentir la tristesse de la saison. Juin est symbolisé par une chasse au vol : un magnifique chasseur s’empare d’un héron qui s’est abattu à ses pieds, et en même temps rend la liberté à son faucon. Ces petites scènes ont pour fond les plus fins paysages. Les feuillages passent insensible¬ ment du vert au bleu à mesure qu’ils s’éloignent. Jamais Bourdichon n’a vu plus juste. Derrière le paysan qui sème, en septembre, fuit un paysage que reconnaîtront tous ceux qui ont vécu dans le centre de la France : c’est une modeste colline divisée en une multitude de petits champs par des haies bleuissantes. Après le calendrier, les grandes scènes qui ornent le corps de r l’ouvrage offrent aussi quelques nouveautés. Le type des Evangé¬ listes, si l’on en excepte saint Jean, est un peu différent de ce que nous sommes habitués à voir chez Bourdichon. Saint Luc et saint Mathieu, notamment, ont des physionomies d’un réalisme modéré qui n’est pas sans charme. Saint Luc, rasé de frais, a le menton et les joues légèrement azurés. Quant à saint Matthieu, c’est un scribe du xvc siècle, coiffé d’une calotte fourrée, vêtu de bon drap, qui écrit sur un joli pupitre en bois sculpté; une pomme est au coin de sa table. Il faut signaler encore une scène qui fit fortune dans l’école de Tours et que les gravures sur bois des livres d’Heures vulgarisèrent: c’est David contemplant Bethsabée dans son bain. Nos vieux livres [. Ou tout au moins du centre de la composition, car il avait ajouté à Ten- tour « d’autres anges, un soleil [c’est-à-dire une gloire] et une nuée ».