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LA MINIATURE A L’EXPOSITION DES PRIMITIFS 47 scrits il écrivait comme un écolier : « Ce livre est à moi, Charles. » Un ouvrage n’avait tout son prix à ses yeux que s’il était enluminé. Parmi les peintres qu’il employa, il en est un dont les œuvres se reconnaissent facilement et forment un groupe. C’est un artiste qui a vécu beaucoup plus longtemps que lui et qui travaillait encore en 1393. Le livre le plus ancien que je lui attribue est le Voyage de Jean de Mandeville, qu’il enlumina un peu avant 1371 *. Les minia¬ tures de la Bible 2 et de la Cité de Dieu*, traduites par Raoul de Prestes, sont également de lui. De lui encore le Rational des Divins Offices4, la Légende dorée % et enfin le fameux Pèlerinage de Guil¬ laume de Digullevillec, qui porte la date de 1393. C’est ce dernier livre qui donne la meilleure idée de son talent. Il a créé un type d’homme aux traits tirés, à la physionomie prématurément vieillie, qui est comme sa marque. Ses types de femmes ne sont pas moins caractéristiques. 11 les conçoit comme des êtres presque immatériels. Jamais roman courtois n’idéalisa à ce point la femme. Il les allège du poids de la matière, les réduit à n’être plus qu’un fil : mais les tètes encadrées de tresses blondes sont charmantes. Il eut encore d’autres audaces. Le premier il osa personnifier la mort. Elle appa¬ raît toute vêtue au moribond couché sur son grabat, et lui montre le cercueil qu’elle porte sur son épaule7. Ce maître original fut souvent un coloriste raffiné8. Il aime les bleus effacés, les roses pâlis qui tournent au mauve. Parfois même, il modèle ses per¬ sonnages en gris et les détache sur des fonds de couleur. Il n’est pas possible de voir quelque chose de plus fin que la première page de sa Légende dorée*. . Cette mode de la grisaille qui se répand alors dans les ateliers de mihiaturistes suppose une singulière subtilité de l’œil et du goût. Plusieurs peintres de Charles V durent à ce procédé des effets rares. L’auteur de la Cité de Dieu™ relève ses compositions monochromes par l’or d’un nimbe, le rose passé d’une étoffe, le bleu damasquiné 1. Catalogue, n° 42 (nouv. acq. franc. 4515). 2. Catalogue, n° 78 (franc. 158). 3. Catalogue, n° 79 (franc. 170). 4. Franç. 176 ; n'est pas exposé. 5. Catalogue, n° 58 (Bibl. Mazarine, n° 1729). 6. Catalogue, n° 76 (franc. 823). 7. Au f° 94. 8. Surtout dans certaines pages du Pèlerinage, 9. Catalogue, n° 58. ■10. Catalogue, n° 50 (franc. 22912); il s’agit seulement du premier volume.