Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/539

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m GAZETTE DES BEAUX-ARTS dit à l’art, on ne s’irrite pas moins des apparences inusitées qu’il se risque à revêtir. L’irréalité même du genre prolonge la durée de l’efTort d’accoutumance. Ainsi durent s’étonner jadis, dans l’ancienne Êgypte, les premiers contemplateurs du Sphinx. Plutôt que de railler, mieux vaut faire honneur à M. Odilon Redon du luxe de son imagi¬ nation terrifiante et douce. Par surcroît, cet évocateur de l’au-delà, ce poète de la chimère et du songe, se double d’un praticien expert et personnel dans les techniques variées qu’il aborde. Des escarboucles de pierreries scintillent dans la nuit de ses pastels ; un portrait, un bouquet de fleurs, que Fantin-Latour eût goûtés, gardent, à travers la pénombre, l’attrait d’une confidence murmurée à mi-voix; ses lithographies offrent la volupté rare des noirs veloutés et profonds ; les murs se parent,grâce à lui, de la somptuosité des tapis d’Orient, de la végétation luxuriante d’un Paradou idéal. Il faut faire remonter à une quinzaine d’années les premières manifestations collectives du groupe symboliste; on a pu en étudier la succession chez Le Rare de Boutteville, aux « Indépendants » et à la galerie Bernheim ; isolément certains artistes se sont affirmés dans les expositions particulières ou même aux salons de la Société Nationale. Les symbolistes prennent la peinture en l’état où l’a con¬ duite l’impressionnisme, mais ils entendent embellir le luxe du ton et de la lumière de tout ce qu’y peuvent ajouter de sens et de beauté le rythme d’une ligne, le chiffre d’une arabesque. L’intellectualité de leur art se prouve par le don de la composition et tous presque ont fait œuvre de décorateur; ainsi leur doit-on des cartons de vitraux, des illustrations de livres, des lithographies en couleurs, et des pein¬ tures murales exécutées pour des édifices publics ou destinées à orner le home. À ces artistes s’est adjoint un sculpteur original, de la race des coroplastes tanagréens et des imagiers gothiques, M. Maillol, chez qui la grâce fruste du modelé et des silhouettes révèle la même volonté ardente d’expression. Le lien de visées communes n’a pas entravé l’essor de la personnalité et, depuis les débuts, les tempéraments demeurent de part et d’autre dissemblables à l’ex¬ trême : le mysticisme de M. Maurice Denis s’oppose à l’inspiration plutôt païenne de M. Roussel, le sens de l’intimité de M, Vuillard à l’ironie sans fiel de M. Pierre Bonnard. Celui-là, Parisien d’origine, d’esprit et de verve, trouve autour de lui des textes appropriés; au hasard des rencontres, il épie le jeu des physionomies, le maintien, les allures; il analyse, raille doucement, et, par les libres accen¬ tuations de son dessin, se signifient les intentions de son humour.