Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/545

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS mouvement de pensée qui a conduit, vers la fin du xixc siècle, l'homme à élargir sa conscience, à s’édifier sur lui-même et à se retrouver en autrui. Peintres et statuaires regardent leurs semblables avec des yeux nouveaux; d’aucuns se prennent de compassion, certains s’ir¬ ritent, et la pitié ou la colère féconde leur effort. Un noble souffle de fraternité anime et recommande l’œuvre d’un Adler, d’un Roger Bloche, d’un Derré, d’un Charpentier, d’un Yencesse, et maint fai¬ seur de statuettes a trouvé la célébrité à dire la détresse des mal¬ chanceux et le labeur des humbles. M. Troubetzkoï aussi s’intéresse à la misère et à l’inégalité des conditions; mais la sympathie pour sa sculpture, très vivante, est limitée par ceci que l’intensité du sen¬ timent s’y subordonne trop volontiers à la recherche du pittoresque. Nous préférons, avec Jean-François Millet, des mains moins habiles, des cœurs plus chaleureux, des intelligences plus pénétrantes. Dans les tableaux où M. Eugène Martel représente les gens de son village, il y a toujours de la révolte contenue, et la forte saveur campagnarde dont sa peinture est imprégnée ne manque pas d’âpreté, sinon d’aigreur; l’artiste s’est retiré au fond de sa Provence, pro¬ duit peu, n’expose guère, concentre sa volonté et son esprit dans quelques créations qui trahissent le regret des mentalités ambiantes et le long repliement sur elle-même de la pensée en exil. Voyez son Intérieur de cabaret, assez parent des anciennes tabagies hollan¬ daises : c’est une taverne avec des buveurs, tantôt groupés, tantôt isolés, ceux-ci debout, d’autres affalés sur des chaises, l’un même tout de son long étendu, somnolent et ivre à moitié ; on cause, on joue, on cric, on ricane, on chicane; la fumée monte en bouffées épaisses dans l’atmosphère lourde; de la baie vitrée filtre la lumière qui s’épand dans la salle aux murs gris : elle glisse à la surface polie des tables de marbre blanc, effleure ou frappe les rudes visages, silhouette les profils en ombres chinoises ; c’est elle qui ménage entre les acteurs la cohésion utile, qui fait valoir la forte définition des types, la puissance de la gesticulation, de la mimique, la vie naturelle des attitudes. Tout compte fait, il ne nous souvient pas que les mœurs rurales aient été étudiées et traduites d’aussi près, par un analyste à ce point désabusé et véridique. La mise en évidence des initiatives personnelles se poursuit aussi délibérément dans les sections accessoires qui achèvent de conférer au Salon d’automne son homogénéité, son caractère et sa portée. Des architectes rationalistes et des décorateurs émancipés de la tutelle des styles morts s’y dépensent utilement à rénover les arts