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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/55

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50 GAZETTE DES BEAUX-ARTS Ces miniaturistes, qu’ils soient Français ou qu’ils le soient devenus, ont une passion commune : l’amour de la nature. Ce qui caractérise la seconde moitié du xlv" siècle, c’est la recherche de plus en plus scrupuleuse de la vérité. On voit les artistes se détacher des types si nobles que leur a légués le passé, pour imiter ce qu’ils ont sous les yeux. Le théâtre, comme nous l’avons expliqué ici même, commence à leur fournir des modèles. La réalité leur en propose tous les jours de nouveaux. Voici le costume étriqué du temps de Charles V, le chapeau de fer des soldats, les guenilles des mendiants1. La nature apparaît. Sur des fonds qui restent encore damasquinés, des arbres, des rochers se détachent. Des oiseaux animent les marges. L’artiste, on le sent, aspire à embrasser tout le monde visible. Suivre jour par jour ces progrès de la vérité, ce sera là une tâche intéressante, et qu’on peut envier au futur historien de Fart français. Vers 1400, la grande génération d’artistes qui travaillait pour bar duc de Berry fit les progrès décisifs. Ce sont là les vrais créateurs de l’art moderne. Même quand on vient d’étudier leurs prédécesseurs, on reste surpris de leur finesse à observer et de leur habileté à rendre. Il faut voir, dans les marges des Petites Heures du duc de Berry2, ces jolis rouges-gorges et tant d’autres oiseaux délicieux. Plus loin l’artiste a représenté saint Jean-Baptiste enfant dans le désert. Sa candeur enhardit tous les êtres, qui jouent innocemment autour de lui. Il y a là un cerf, un singe, des oiseaux, qui sont l’œuvre d’un maître3. Les Grandes Heures1" nous offrent, jetées dans les marges comme choses de peu de prix, des figures d’une surprenante vérité : c’est un chien qui s’enroule sur lui-même, un enfant de chœur qui sonne les cloches, un merveilleux Tartare, un vieillard à longue barbe blanche, tout vêtu de noir, qui lit3. Mais le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, ce sont les Heures de Chantilly, qui malheureusement ne sont représentées ici que par quelques photographies0. Il n’y a pas de livre plus précieux, car on y voit les premiers paysages. C’est là que pour la première fois les 1. Voir par exemple franc. 823, f° 88, un mendiant déguenillé, vrai comme un dessin japonais. 2. Catalogue, n° 09 (latin 18014). 3. F0 208. 4. Catalogue, n° 68 (latin 919). 5. F° 10 v\ f° 12, f° 31, f° 106. 6. Catalogue, n° 72.