Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/553

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

473 GAZETTE DES BEAUX-ARTS bien vite il parvenait à se rendre maître de ce procédé. Il en dévoilait même aux amateurs tous les secrets dans une brochure, aujourd’hui introuvable, écrite de verve, en une soirée, sur la demande de Ber- ville et qui n’eut pas moins de six éditions. Il gravait aussi quelques eaux-fortes et son apprentissage en ce genre lui était rendu facile par ses qualités de dessinateur. Fin chasseur lui-même, il se plaisait à représenter des scènes de chasse, des braconniers à l’affût, et le Journal de la chasse illustrée lui avait demandé sa collaboration. L’hiver, après le travail à l’atelier, les soirées se passaient en cause¬ ries interminables, en discussions passionnées sur l’art. Mais la campagne attirait surtout Charnay, et l’on put croire un instant qu’il se consacrerait exclusivement au paysage. Ses premiers essais en ce genre ont grande allure et, avec le talent que déjà ils révèlent, on y sent je ne sais quelles préoccupations de style et comme un mélange inconscient de classique et de romantisme. Dans le choix même des motifs, aussi bien que dans la manière de les traiter, on reconnaît l’artiste qui cherche le caractère des lignes et les belles ordonnances. Ce sont les côtés austères et un peu sau¬ vages de son pays natal qui le tentent. Son premier tableau, L'Ecluse, qu’il exposa en 1867, fut remarqué pour son effet large et puissant. L’Allumage des fours à chaux à Saint-Maurice, avec des fumées à la Decamps montant en épais tourbillons dans un ciel mou¬ vementé; le Bac et la Croix de Sinistre sur la Loire, avec le vent qui fait rage et des eaux tumultueuses s’épandant à travers une contrée désolée, enfin la Chasse à la loutre, lancée à toute vitesse dans un pays abrupt, manifestent bien le sens dramatique de ces premiers ouvrages. Paul Baudry, ayant eu l’occasion de voir quelques études de figures peintes en plein air par Charnay, fut frappé des qualités qu’il y montrait et de l’intime accord qu’il avait su établir entre ces figures et le paysage. Il l’encouragea à persévérer dans cette voie, lui offrant non seulement ses conseils, mais une place dans son atelier s’il voulait y travailler près de lui. Charnay, d’ailleurs, se sentait lui- même porté à ces études par son amour pour la campagne. Une première visite faite en 1866 à la forêt de Fontainebleau l’avait ravi. Il se croyait préparé aux beautés qu’il y trouverait, par les tableaux de Rousseau et de Diaz, pour lesquels il professait une très vive admiration; la réalité dépassa de beaucoup son attente. La vieille forêt était encore intacte dans sa superbe sauvagerie. Les prome¬ neurs y étaient rares et, n’ayant pas pour s’y guider les flèches