Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/557

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m GAZETTE DES BEAUX-ARTS La Pêche à Vêpermer, qui valut à Charnay une médaille au Salon de 1876, peut être considérée comme un des spécimens caractéris¬ tiques de ces scènes pittoresques. C'est la fin d’une belle après- midi d’automne et la compagnie des châteaux voisins s’est donné rendez-vous dans un coin délicieux, près des cascatellcs de Saint- Thurin, sur les bords du Lignon. Les eaux claires et rapides jail¬ lissent parmi des roches moussues et des tapis de fougères. L’œuvre est de tout point exquise; pleine de mouvement et d’élégance dans les figures, de sauvagerie dans le paysage. Tout y concourt à l’impression : la beauté du lieu, le charme et le naturel de la composition, la franchise de l’etfet, l’harmonie délicate de la couleur, la grâce aimable de tous ces personnages, de leurs attitudes et de leurs ajustements. Avec une tenue parfaite dans l’ensemble, l’exécution, à la fois précise et souple, donne du prix aux moindres détails. Très attrayant au premier aspect, le tableau vous retient par tout ce qu’il réunit de mérites divers et un examen prolongé ne peut y révéler que des sujets nouveaux d’admiration. Une autre fois, c’était, dans le ravin de Papillon (Saône-et-Loire) une Partie de pêche à la ligne, au milieu d’un merveilleux décor, avec le Sornin dévalant des pentes rapides, parmi des rochers écroulés et des troncs d’arbres tombés en travers de son lit. Quelle joyeuse partie ! Quelles traversées difficiles de gués hasardeux ou de glis¬ sades sur les pierres polies ! Quelle joie de ferrer d’un coup brusque la truite frétillante ! Et le soir, le retour par les bois de noisetiers, en gravissant les pentes à pic, puis, au sommet, tout ce monde de parents et de bambins s’entassant dans les guimbardes vénérables, pour les descentes cahoteuses par des chemins invraisemblables qu’affleurent partout des bancs de la roche; enfin, la traversée du pont du meunier, et les planches mouvantes sous lesquelles la rivière, encore remuée par les roues du moulin, se heurte rageuse aux piles disjointes. Un talent si original et si complet ne pouvait manquer d’attirer l’attention. Non contants de se disputer les œuvres de Charnay dès leur apparition au Salon, marchands et amateurs apprenaient le chemin de son atelier pour les lui enlever sur le chevalet. Mais il tenait les uns et les autres à distance, et désireux avant toiit de con¬ server sa liberté, il ne voulait pas la laisser entamer. Il refusait les commandes, car il entendait choisir lui-même les sujets qui lui agréaient et les traiter à sa guise. Le succès n’était pour lui qu’une incitation à toujours progresser, à varier ses études, à étendre son