Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/559

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m GAZETTE DES BEAUX-ARTS horizon, sans se recopier jamais. Aussi, à côté de ces motifs em¬ pruntés à la vie élégante, d’autres, d’un caractère tout différent, l’attiraient, à raison même des contrastes qu’il y trouvait. 11 aimait les petites villes foréziennes, aux noms étranges : Boën, Feurs, Moingt, etc., l’air d’abandon qu’elles ont gardé, l’àpre austérité de leurs rues et de leurs murailles noirâtres, l’aspect rébarbatif de ces forteresses en ruines, prises et reprises alternativement par les huguenots et les catholiques pendant les guerres de religion et sac¬ cagées tour à tour par les uns et les autres. Séduit par ces témoi¬ gnages parlants du passé, Charnay parcourait toute cette région centrale de la France qui, longtemps défendue par ses montagnes et par sa pauvreté, n’élait encore traversée par aucun chemin de fer et avait jusque-là conservé .son caractère. Travaillant sans relâche, il amassait de nombreuses études, parmi lesquelles il convient de citer le Vieux marché de Montluçon, avec ses maisons déjetées et scs misérables échoppes; la Bue de Cervières (Loire), un bourg triste et désert, dont les arcades, les portes surbaissées et les fenêtres en ogive semblent un souvenir attardé du moyen âge ; les Boucheries du Puy-en-Velay, des murailles grises sous une lumière diffuse, et encadrés par ces tonalités moyennes, les trous noirs des boutiques alignées, avec leurs chapelets de saucissons et leur étalage de quar¬ tiers de viandes nacrées ou de mous et de foies sanguinolents. Mais c’est surtout d’Aurillac que l’artiste rapportait une ample moisson : des ruelles étroites, rendues plus sombres encore par les auvents qui surplombent, et parfois, sous un rayon furtif, une bande mince de ciel dont le pâle azur joue gaiement avec le rose ensoleillé des tuiles ; ou bien, un petit chef-d’œuvre, La Bue Marcenagve, trans¬ formée par la pluie en un véritable cloaque, avec des antres mysté¬ rieux dans lesquels, au-dessous de loques pendantes, on découvre, dans un pêle-mêle à la fois sordide et plaisant d’épaves de toute provenance et de toute sorte, le frais minois d’une fillette dont un vaste bonnet blanc encadre le joli visage. Charnay se plaît à ces contrastes, et il sait, par les repos intelli¬ gemment répartis d’espaces tranquilles, faire valoir les détails significatifs auxquels sa touche, prodigieusement adroite et facile, donne un charme singulier. A peindre avec un tel taleni, il n’est guère besoin de sujets, tant l’art du peintre porté à ce degré est intéressant par lui-même et se suffit. On chercherait en vain quelles qualités manquent à ces petites merveilles dans lesquelles l’entente du clair-obscur, la délicate correction du dessin, la beauté de la cou¬